50 ans de l’AMPN : « C’est important de réguler les activités humaines »

Une sortie en mer organisée vendredi 6 juin au départ du Méridien Beach Plaza a permis aux médias locaux de découvrir les actions de l’Association Monégasque pour la Protection de la Nature, qui fête cette année son demi-siècle d’existence.
L’occasion pour la directrice Jacqueline Gautier-Debernardi et son équipe de revenir sur l’histoire de l’APMN, de sensibiliser et de présenter les actions concrètes de l’association.
C’est sous l’impulsion du Prince Rainier III que débute en 1975 l’histoire de l’AMPN. Le 22 octobre 1975, l’Association Monégasque pour la Protection de la Nature (AMPN) voit le jour sous la présidence d’Eugène Debernardi, portée par un groupe de bénévoles monégasques animés par la volonté de contribuer à la sauvegarde du milieu marin. Une création qui allait révolutionner la protection marine mondiale : en avril 1976, Monaco inaugurait la première réserve sous-marine au monde située en milieu urbain, dans la zone du Larvotto.
Cette zone protégée, dédiée à la sauvegarde de l’herbier de Posidonie, écosystème clé de Méditerranée, a rapidement prouvé son efficacité. Dix ans plus tard, en 1986, l’AMPN créait une seconde réserve au Tombant des Spélugues, axée sur la protection d’un tombant coralligène abritant des colonies de corail rouge. « Il faut qu’une aire marine protégée soit balisée de manière à limiter le trafic. Ici, on a pas le droit de rentrer en bateau, il faut une dérogation. On n’a pas le droit d’ancrer ni de pêcher ou de faire de la chasse sous-marine. C’est important de réguler les activités humaines », précise Jacqueline Gautier-Debernardi

Cinquante ans de surveillance ont permis d’établir des données uniques au monde. L’étude comparative publiée en 2024 dans une revue scientifique internationale le confirme : l’abondance et la diversité des espèces dans les aires protégées monégasques dépassent largement celles des zones non protégées environnantes.
Les corbs et mérous, deux espèces emblématiques quasi-disparues en raison de la pêche intensive, illustrent parfaitement cette réussite. Protégées intégralement depuis 1993 sur tout le littoral monégasque, ces espèces affichent une progression lente mais constante de leurs populations, tant dans les aires protégées qu’à l’extérieur. « Nous étudions aussi les poissons juvéniles, à quelles espèces ils appartiennent, leur nombre et où ils se concentrent pour préserver ces nurseries, le but est de s’assurer qu’on obtient beaucoup de juvéniles dans la réserve et en bonne santé pour renouveler les populations adultes. C’est un suivi que l’on fait depuis 2023, tous les trois mois. Le dernier recensement que l’on a fait en mai dernier, on a compté plus de 14 000 juvéniles et une quinzaine d’espèces différentes », déclare Eugenio Di Franco.
L’AMPN a également développé un programme de suivi des juvéniles pour identifier les habitats de nourricerie essentiels à la reproduction. Cette approche globale, couvrant tous les stades de vie des poissons, explique en partie le succès écologique observé.

Quant à l’herbier de Posidonie du Larvotto, il fait l’objet de la plus longue étude continue jamais réalisée sur cet habitat essentiel. L’AMPN y a même développé une méthode de restauration unique, aujourd’hui reconnue comme l’une des plus efficaces au monde pour rétablir cet écosystème. « Le Monte-Carlo Bay avait besoin d’une zone de baignade, contrairement au Méridien qui a la sienne, puisqu’ils sont au cœur de l’AMP, ils ont mis en place une zone de baignade et nous, à l’AMPN, un suivi de l’herbier de posidonie, l’écosystème majeur du Larvotto, pour voir s’il pouvait y avoir des impacts liés à l’ombre portée par la mise en place du filet. L’herbier est suivi, on mesure chaque année certaines données sur l’herbier », explique Jacqueline.
« On a un herbier de 14 hectares dans l’aire marine protégée du Larvotto. Pour s’assurer que l’herbier va bien on regarde le nombre de faisceaux, puisqu’il s’agit d’une plante marine. Nous comptons les faisceaux avec un quadra, et nous comptons seulement les faisceaux présents dans le quadra qu’on dispose aléatoirement. Dans cette AMP, il y a une expérimentation de bouturage qui s’est faite il y a quelques années, pour restaurer l’herbier. On en est à la cinquième année de suivi. Le pourcentage de recolonisation est énorme, le nombre de faisceaux est extraordinaire et cela montre que cette expérimentation, faite avec les plongeurs scientifiques, est efficace », fait remarquer Camille Devissi.
Les 2 km² de côtes monégasques servent de terrain d’expérimentation pour des technologies révolutionnaires. L’association a noué des partenariats stratégiques avec des institutions prestigieuses : Centre Scientifique de Monaco, universités de Nice, Montpellier, Aix-Marseille, Perpignan, Gênes, CNRS et Muséum National d’Histoire Naturelle.

En 2017, Monaco a franchi une nouvelle étape avec l’immersion des premiers récifs artificiels au monde fabriqués par impression 3D, en partenariat avec la Fondation Prince Albert II. Ces structures écologiques, conçues à base de sable de Dolomite, marquent une première mondiale par leur taille et leur procédé de fabrication. Ce projet d’envergure s’inscrit dans la continuité du travail pionnier de l’AMPN qui, dès ses premières années, avait pris l’initiative d’immerger des récifs artificiels pour créer de nouveaux habitats et favoriser la colonisation par de nouvelles espèces marines. Cette innovation a naturellement fait l’objet de publications dans des revues scientifiques internationales.
« On fait partie des premiers à l’AMPN à faire émerger d’anciens récifs, ce qu’on appelle nous des récifs historiques. Ils ont été construits avec des matériaux de chantier. On a mis en place en 2022/2023 un vaste programme pour recenser toutes les espèces et pour voir en même temps leurs états architecturales. Certaines sont là depuis 45 ans, donc il fallait s’assurer de leur état », raconte la directrice.
L’AMPN se distingue également par l’utilisation d’équipements de pointe. L’association utilise notamment une caméra hyperspectrale, technologie révolutionnaire qui permet d’étudier la biodiversité marine sans prélever d’échantillons. « Cette caméra permet de voir l’invisible à l’œil nu », précise Jacqueline. Cette approche non-intrusive offre la possibilité de collecter des données précises sur les écosystèmes marins et d’observer l’évolution des récifs artificiels avec une grande exactitude.
L’association a également innové avec la technologie BRUVS (Baited Remote Underwater Video Systems), un système de caméras sous-marines appâtées qui complète les inventaires de peuplements de poissons dans des habitats difficiles d’accès. Cette technologie permet de contourner les contraintes liées à la profondeur et à la durée des immersions, avec une nouvelle publication scientifique prévue pour valoriser ces recherches.
30% des océans protégés d’ici 2030
L’AMPN mise également sur l’éducation avec son programme d’Aire Marine Éducative, lancé en 2018. Les élèves de 7ème participent directement à la gestion d’une zone littorale, apprenant concrètement les enjeux de protection marine.
Avec son plan de gestion quinquennal adopté en 2021, Monaco s’inscrit dans l’objectif international de protéger 30% des zones marines d’ici 2030. Un défi que la Principauté aborde forte de son expérience de précurseur en matière de conservation marine urbaine.