Un ancien employé de SBM Offshore poursuit l’entreprise pour avoir « détruit sa vie »
Cela fait désormais dix ans que l’affaire a commencé.
En 2013, Jonathan Taylor, ancien juriste de la société pétrolière néerlandaise SBM Offshore, basée à Monaco, dénonce ce que l’association de La Maison des Lanceurs d’Alerte qualifie de « système de corruption massive. »
L’ancien employé aurait en effet découvert qu’entre 2005 et 2011, selon le journal néerlandais De Telegraaf, SBM Offshore aurait versé pas moins de 275 millions de dollars de pots-de-vin (soit à l’époque 185 millions d’euros) à différents pays afin d’obtenir des contrats pétroliers.
Une fois l’alerte lancée, Jonathan Taylor s’attire les foudres de la part de l’entreprise qui, suite aux révélations, est condamnée à payer plus de 800 millions de dollars d’amendes aux États-Unis, aux Pays-Bas et au Brésil. Les enquêtes ont même conduit à la poursuite en justice de deux anciens PDG de la société, Didier Keller et Tony Mace, pour des infractions liées à la fraude. Tous deux ont été condamnés à une amende et à de longues peines de prison, en partie avec sursis.
Mais de son côté, SBM Offshore riposte et désigne le lanceur d’alerte comme un employé qui aurait « volé des documents » et qui aurait fait chanter l’entreprise en réclamant, contre son silence, la coquette somme de trois millions d’euros.
Des accusations manifestement sans fondement mais qui, comme l’ont rapporté les journalistes de Danas.hr, ont conduit Jonathan Taylor a être placé sur la liste rouge d’Interpol et à être arrêté en Croatie en 2018, lors d’un voyage avec sa famille. Selon le journal Upstream Online, il est alors assigné à résidence pendant 50 semaines. « Il a été isolé, éloigné de sa famille et incapable de subvenir à ses besoins ou à ceux de sa famille, ce qui a eu des répercussions extrêmes sur son bien-être mental », dénonce La Maison des Lanceurs d’Alerte.
Une demande d’extradition
Monaco demande alors l’extradition de Jonathan Taylor, afin de l’interroger sur les accusations portées contre lui par SBM Offshore. Mais le 7 juillet 2021, le Ministre croate de la Justice, Ivan Malenica, rejette formellement cette demande. La Principauté, quant à elle, retire le mandat d’arrêt international, deux ans après l’avoir lancé.
« Je suis ravi que la justice ait finalement prévalu et je suis reconnaissant envers le Ministre de la Justice, Ivan Malenica, d’avoir tenu compte des arguments juridiques de mes avocats, qui avaient apparemment été négligés par les tribunaux, lorsqu’il a décidé de rejeter la demande bancale d’extradition formulée par Monaco », a déclaré Jonathan Taylor.
Et aujourd’hui, le lanceur d’alerte poursuit SBM Offshore en justice, et plus précisément Bruno Chabas et Sietze Hepkema, respectivement Directeur général et ancien Directeur de gouvernance et de conformité de l’entreprise. L’affaire est portée devant le tribunal de Harleem, aux Pays-Bas. Affirmant que la société a tenté « de détruire sa vie », Jonathan Taylor réclame des « dommages et intérêts substantiels. »
Au-delà de son aspect purement juridique, cette affaire a eu un véritable écho auprès des instances de protection des lanceurs d’alerte. En 2022, l’association Sherpa a notamment déposé au parquet national financier « une demande d’ouverture d’enquête pour corruption, blanchiment et recel sur les activités du géant pétrolier SBM Offshore, afin de mettre en lumière l’implication de personnalités françaises dans des pratiques de corruptions généralisées qui auraient été employées par la multinationale dans la plupart des zones où elle opérait. »
« Je suis en quête d’une justice sur le plan personnel »
Des appels à une véritable protection juridique et législative des lanceurs d’alerte ont également été lancés. En attendant, comme le rapporte Upstream Online, Jonathan Taylor, qui réclame des excuses publiques de la part de l’entreprise, conseille vivement aux lanceurs d’alerte de bien réfléchir aux conséquences potentielles d’une dénonciation aux autorités et suggère d’agir sous anonymat.
« Je suis en quête de justice sur le plan personnel, a-t-il commenté auprès du journal. Je demande aussi des dommages et intérêts substanciels, ainsi que le remboursement des frais que j’ai dû verser. (…) L’entreprise a eu tort de m’accuser de chantage, je n’ai jamais été un maître-chanteur. Je suis un lanceur d’alerte. Je n’aurais jamais dû souffrir d’un tel changement de vie, juste pour l’avoir été. »
De son côté, un porte-parole de SBM Offshore a déclaré auprès d’Upstream Online que l’entreprise « ne s’est jamais reconnue dans les faits qui lui ont été reprochés par M. Taylor. C’est également le cas pour cette nouvelle assignation et nous nous défendrons en conséquence. »