« La justice est un monde à part et quand on l’approche, on s’y attache »
Journaliste pendant 60 ans pour le groupe Nice-Matin, Jean-Marie Fiorucci a passé une grande partie de sa vie sur les bancs des tribunaux de Monaco. Il revient sur sa carrière impressionnante, et nous livre ses anecdotes.
Dans les ruelles du Rocher, il ne parcourt pas un mètre sans qu’un passant ne le salue. Jean-Marie est connu comme le loup blanc et pour cause, cet enfant du pays y vit depuis toujours et y a travaillé pendant de longues années. Il a en effet dédié sa plume au quotidien Nice-Matin puis à Monaco-Matin lorsque l’édition a été créee.
« Je suis rentré au journal à 20 ans, au pôle graphique à Nice pour m’occuper de la mise en page. Cela a été ma mission jusqu’au jour où le DRH m’a demandé si j’étais intéressé pour faire du rédactionnel. J’étais à fois surpris et heureux qu’on me fasse une telle proposition. J’ai accepté. Le lendemain je commençais à rédiger mes premiers articles tout en alternant avec des stages à Paris dans une école de journalisme », se souvient-il. À la locale de Nice, Jean-Marie a géré les pages dédiées à la région niçoise avant de se concentrer sur le volet culturel. « Un jour, à la création de Monaco-Matin, j’ai été sollicité pour faire le tribunal correctionnel. J’avais 40 ans et à ce moment-là je couvrais tout : l’actualité du Palais de justice, les faits-divers, le Conseil National… C’était une bonne école. J’avais toutefois le privilège de conserver la couverture de l’Opéra, des Ballets de Monte-Carlo, du Théâtre Princesse Grace et de tous les événements culturels. Dieu sait s’il y a de quoi faire à ce niveau. »
Peu de temps après avoir pris sa retraite, Jean-Marie est recontacté pour poursuivre la couverture du tribunal. « J’ai dit oui car j’ai toujours aimé servir Monaco. J’ai non seulement apprécié de m’imprégner des codes et lois de la justice monégasque qui est légèrement différente de la justice française, mais aussi et surtout le fait de connaître des magistrats prestigieux, jusqu’à faire naître une sympathie qui comble l’esprit. C’est grâce à leur bienveillance que j’ai pu me parfaire dans ce domaine. D’ailleurs si je la considère comme coercitive elle s’est révélée très humaine au fil des audiences tenues. »
Je regardais beaucoup les émissions sur les procès qui passaient à la télévision, j’avais une attirance pour cela et d’ailleurs quand mes deux enfants ont souhaité poursuivre leurs études, je leur ai conseillé de faire du droit
La particularité du journalisme judiciaire
Un stylo et quelques feuilles dans sa fine mallette, Jean-Marie n’avait rien besoin d’autre pour travailler. « Certes, l’exercice n’est pas simple. Enregistrements et photos sont interdits dans le prétoire, mais nous avons la chance de pouvoir prendre des notes. Il pouvait y avoir plus de 15 affaires dans la journée, et il est arrivé que certaines durent deux ou trois jours, comme celle d’un Pink Panther qui avait réussi à commettre un juteux braquage à Monaco. Il fallait assister au procès tout ce temps et je rédigeais le papier dans la foulée car il devait paraître dans l’édition du lendemain. »
Est-ce un exercice difficile émotionnellement ? « Il faut être en dehors de toutes convictions de coeur et d’instinct. Comme les juges. Après tout, le prévenu peut mentir au cours de l’audience, il a le droit, alors je me remémorais sans cesse cela pour rester neutre », confie le journaliste âgé aujourd’hui de 78 ans. Une chose inculquée à l’école de journalisme : il faut vérifier ses sources. En cas de doute j’interrogeais les magistrats ou le plus souvent les avocats. »
Une minutie extrême qui a tout de même failli, se remémore-t-il en buvant une gorgée de café bien serré dans un des bars du Rocher. « J’ai eu un problème une seule fois avec un prévenu qui était accusé de « vol », car j’avais retranscrit un mot à la consonance proche de celui énoncé, mais surtout plus offensant. La personne concernée a déposé plainte en découvrant l’article. Primo, j’avais pour habitude de ne jamais citer les patronymes des mis en cause, car cela m’apparaissait comme une double peine. Secondo, ce personnage s’était dénoncé de lui-même sur les réseaux sociaux, en se plaignant d’avoir été diffamé. J’ai été placé en garde à vue à la Sûreté Publique. À l’époque, le procureur n’avait rien retenu contre moi et je suis ressorti libre. »
En mission jusqu’à 77 ans
Le plus difficile dans la narration judiciaire « c’est de rester vrai », reconnaît Jean-Marie qui admet : « certains procès sont complexes, impliquent plusieurs parties et des témoignages. Il faut absolument comprendre pour être compris du lecteur, savoir à la fois écrire simple et synthétiser quand l’audience dure plusieurs heures », ajoute-il. Il faut donc de la passion et de la patience pour exercer cette profession. Jean-Marie en a toujours eu. La preuve, il a travaillé jusqu’à 77 ans. « C’est un monde à part et quand on le connaît, on s’y attache », souri le septuagénaire qui avoue secrètement : « le parfum des prétoires me manque encore».
À Monaco, la majorité des affaires concernent l’alcool au volant, la drogue, les vols et les escroqueries.
Certaines affaires peuvent s’apparenter à des pièces de théâtre. « Je me souviens d’un père de famille qui avait, avec son fils, tabassé un automobiliste pour une place de stationnement. Quand le tribunal a déclaré une peine de prison ferme pour les deux, il s’est effondré et a dû être transporté à l’hôpital. Une autre fois, un homme était soupçonné de proxénétisme, et une de ses protégées était présente. Lorsque le président a déclaré qu’il restait incarcéré, cette dernière s’est mise à crier, pleurer et continuait dans la rue. Il y a de sacrés personnages parfois, de bon acteurs », concède Jean-Marie smartphone en main, dont on devine à travers la coque sa carte de presse.
« Elle me suit de partout, c’est un talisman. Elle fait partie de mon identité c’est le cas de le dire. Je ne m’en sers pas de manière ostentatoire mais elle démontre que j’ai réussi dans ma vie », livre Jean-Marie qui aujourd’hui se plaît à pouvoir flâner lors de longues marches matinales, profiter de sa famille ou encore par beau temps, lire dans les jardins Saint Martin un bon bouquin, hors polars.