Interview

Laurent Anselmi, président de l’Académie de la Mer de Monaco : « Nous cherchons des beaux esprits, capables de sortir de leur zone de confort »

Portrait Laurent Anselmi
L’Académie de la Mer de Monaco est une institution dédiée à la transmission des savoirs maritimes et à la sensibilisation aux enjeux environnementaux liés aux océans © A2M

Créée en 2024 sous l’impulsion du Prince Albert II, l’Académie de la mer de Monaco (A2M) s’impose déjà comme une référence dans la formation maritime francophone.

Avec ses formations aux formats variables alliant approche scientifique, économique, juridique et géopolitique, cette institution unique en son genre attire des auditeurs du monde entier.

« L’Académie de la mer est partie d’un constat : les mers et océans font partie de l’ADN de la Principauté, depuis la figure emblématique du prince Albert Ier. Le prisme par lequel on appréhendait les mers et océans à Monaco était cependant essentiellement scientifique, puis environnemental. Avec l’Académie de la mer, la volonté a été d’élargir le spectre en traitant de questions maritimes sous tous les angles possibles : scientifiques et environnementales, mais aussi géopolitiques, juridiques, économiques. Rien de ce qui est marin est étranger à l’Académie », explique Laurent Anselmi, président de l’A2M.

Promotion Prince Rainier III
« Promotion Prince Rainier III » © A2M

Une approche francophone assumée

Le choix de la langue française comme vecteur d’enseignement n’est pas anodin. « Au-delà de l’interdisciplinarité, notre deuxième pilier méthodologique est la langue française ». Cette décision s’inscrit dans l’histoire monégasque : la Principauté est l’un des États fondateurs de l’Organisation internationale de la Francophonie. Le projet de l’Académie a d’ailleurs été conçu dans la perspective du sommet de Villers-Cotterêts qui célébrait les 50 ans de cette organisation.

« Il y a d’abord une forte demande de formations en français, notamment du côté de l’Afrique où nous sommes très présents, qu’il s’agisse de l’Afrique du Nord ou subsaharienne ». Les enseignants aussi apprécient cette opportunité : « Nos partenaires universitaires, qu’ils soient français ou d’Amérique du Nord, sont ravis de pouvoir s’exprimer en français. » Pour le président de l’A2M, cette démarche va au-delà de la simple langue : « La francophonie n’est pas la lutte contre l’anglais, c’est le combat pour le plurilinguisme, l’ouverture d’esprit et la promotion de la diversité des valeurs et des cultures. » Cette approche a rapidement porté ses fruits : l’Agence universitaire de la Francophonie, opérateur d’enseignement supérieur de la francophonie, a d’emblée reconnu l’Académie « comme une université à part entière ». La première promotion a été baptisée « Prince Rainier III », en hommage à celui qui fut « très attaché à la défense des mers et océans et parmi les fondateurs de la francophonie. »

L’Académie propose deux types de formations. L’école d’été annuelle, qui se déroule durant les deux premières semaines de juillet, constitue la vitrine de son savoir-faire. Le programme est structuré autour de trois enseignements fondamentaux dispensés chaque matin : un bilan de santé des mers et océans enseigné par Richard Sempéré, directeur de l’Institut des océans du CNRS et d’Aix-Marseille Université ; un cours de géopolitique des mers et océans dispensé par le professeur Jean-Vincent Holeindre, directeur du Laboratoire de relations internationales de l’Université Paris II Panthéon-Assas ; et un panorama des grands enjeux du droit de la mer contemporaine enseigné par la professeure Niki Aloupi, spécialiste franco-grecque reconnue qui représente la France à la Haute autorité pour les fonds marins.

Les après-midis sont consacrés aux applications pratiques : tables rondes, conférences thématiques et sorties de terrain : « Cette année, nous avons organisé une table ronde sur les flux migratoires et le trafic d’êtres humains qui empruntent les voies maritimes, en réunissant un professeur de droit humanitaire, les anciens directeurs de la police aux frontières français et italien, et SOS Méditerranée. Notre approche méthodologique privilégie toujours la diversité et le dialogue entre les savoirs ».

Parmi les autres thématiques abordées cette année : la question baleinière, l’économie portuaire, la poursuite des pollueurs marins, ou encore « la mer Méditerranée dans tous ses états » avec deux demi-journées consacrées aux problèmes de délimitation de frontières maritimes, à la surchauffe de l’eau, aux menaces pesant sur la Camargue ou encore aux problèmes de corail.

A2M 2025
© A2M

Au-delà de Monaco, l’Académie développe des sessions à l’étranger sur le même modèle. Une première session à Marrakech, en partenariat avec l’université privée Ménara, a réuni une trentaine d’auditeurs venus de toute l’Afrique et s’est révélée « une réussite totale ».

Quel est le profil type des auditeurs que vous ciblez ?

L’objectif de l’A2M est triple : diversité des profils académiques, diversité géographique et diversité générationnelle : « Il n’y a pas de profil type. Nous ne voulons pas qu’il y ait un profil dominant, pas de majorité de juristes ou de scientifiques. Ce que nous cherchons, ce sont des beaux esprits, des personnes aptes à sortir de leur zone de confort et à s’intéresser à autre chose que leur spécialité ». La diversité générationnelle est également recherchée : « Les deux promotions que nous avons eues comptaient des auditeurs âgés de 22 à 60 ans. Il n’y a pas de limite d’âge et cette diversité permet un véritable dialogue intergénérationnel. »

Le processus de sélection est rigoureux. Tous les candidats sont auditionnés, en présentiel ou en visioconférence, sur la base d’un CV et d’une lettre de motivation. L’objectif est de « créer une communauté et les conditions d’une aventure humaine », explique Laurent Anselmi, qui leur rappelle régulièrement qu’après la formation, ils deviendront « les ambassadeurs de l’Académie de la mer. Ils pourront témoigner que Monaco est aussi un endroit où l’on réfléchit à des solutions pour des problèmes importants qui concernent l’humanité entière. Les mers et océans représentent 70 % de l’espace du globe, ce n’est pas abstrait. »

L’ambition d’une petite université de la mer

ACADEMIE-DE-LA-MER-CONFERENCE
© A2M

Comment projetez-vous l’Académie de la mer dans dix ans ?

« Dans dix ans, j’aimerais que nous soyons devenus une petite université de la mer délivrant des diplômes, tout en maintenant notre école d’été et nos formations internationales ». Cette ambition suppose de nouveaux moyens : « Je ne veux pas solliciter davantage l’État. Il faudra trouver des mécènes privés et renforcer nos ressources humaines et administratives, tout en menant une réflexion sur notre offre diplômante. »

Les enjeux contemporains motivent cette ambition. Laurent Anselmi se dit particulièrement préoccupé par la pollution plastique : « Un instrument universel est en cours de négociation dans le cadre du PNUE, mais il avance lentement ». En cet état, l’Académie a été approchée par le Centre international de droit comparé de l’environnement de Limoges pour « élaborer un protocole de lutte contre la pollution de la Méditerranée par les plastiques, qui pourrait servir de modèle à d’autres régions. »

Qu’est-ce qui fait votre fierté en tant que directeur ?

© A2M

« Ce qui a été le plus exaltant pour moi, c’est de partir d’une feuille blanche. Dès la phase de conception, le Prince a enrichi le projet puis pris les décisions nécessaires à la création de l’institution. C’est pourquoi j’ai coutume de dire que c’est Son Académie. Il Lui est du reste régulièrement rendu compte de l’avancement de nos actions et de notre développement. En phase de réalisation, nous avons tout mis en œuvre ex nihilo, avec le précieux soutien du Gouvernement Princier, sans lequel rien n’aurait été possible, et le concours de notre conseil d’administration. »