La villa Kérylos, le rêve d’un archéologue
Début 20e siècle. Comme bien d’autres familles riches, les Reinach séjournent sur la Côte d’Azur. Ils sont trois frères – si érudits qu’on les a surnommés les « Je-Sais-Tout » : J. pour Joseph, S. pour Salomon et T. pour Théodore. Ce dernier, helléniste de renom, entreprend une expérience inédite : vivre dans une villa antique. Avant tout, il faut la construire ; il confie la tâche à un jeune architecte prometteur, lui aussi féru de culture antique, Emmanuel Pontremoli.
Ni copie servile d’une villa qui aurait vraiment existé ni musée, Kérylos est avant tout une demeure familiale – pour Théodore, son épouse, leurs six enfants – comme l’annonce la mosaïque du vestibule : un coq, une poule et leurs poussins. Les Reinach y séjournent à partir de 1906, toujours en hiver, la bonne société d’alors ne fréquentant la Riviera qu’en cette saison.
Variation moderne sur la villa antique
Kérylos – nom forgé à partir d’un mot grec signifiant « hirondelle de mer » – tourne le dos à la rue et s’ouvre sur la mer. L’entrée est discrète, les façades d’une grande sobriété, contrastant avec le luxe de l’intérieur.
Tout ici a l’apparence d’une villa antique : les peintures murales – agrandissements de peintures de vases –, les meubles associant bois et bronze, jusqu’à la vaisselle et aux couverts. Cependant, cette famille de la grande bourgeoisie entend jouir du confort moderne. Bien présent, il est quasi invisible : discrets interrupteurs, bouches d’air chaud dissimulées dans les mosaïques. Dans l’Antiquité, les miroirs n’étaient que de rudimentaires disques de métal ; dans les salles de bain de Kérylos, des panneaux amovibles cachent des miroirs au tain parfait. Les bidets sont, eux, recouverts de faux coffres en bois.
Levé très tôt, Théodore Reinach passait la matinée dans son immense bibliothèque ; l’après-midi était consacrée à la vie de famille – promenades en mer, jeu de société et conversation. Juriste, historien, numismate et archéologue, Théodore Reinach est aussi profondément de son temps. Dreyfusard, puis député de la Savoie de 1906 à 1914, il a contribué à la loi sur la protection des monuments historiques.
Le maître de maison a reçu quelques célébrités dans sa villa grecque : Gustave Eiffel, la tragédienne Sarah Bernhardt, peut-être aussi la danseuse américaine Isadora Duncan et, bien sûr, le roi de Grèce, Georges Ier ! Depuis 1967, Kérylos est ouverte au public.
Villa Kérylos, Impasse Gustave-Eiffeil, 06310 Beaulieu-sur-Mer
Par Sandrine Zilli, rédactrice du site Histoire du Mobilier