Une vague projette une participante de la No Finish Line, un ancien ministre d’Etat jugé
Six ans après les faits, le tribunal correctionnel a jugé ce mardi 18 novembre trois prévenus pour des blessures involontaires survenues lors de la No Finish Line en 2019.
Une participante avait été emportée par une vague depuis la digue de Fontvieille, provoquant de multiples fractures du bassin. Seul Serge Telle, ancien ministre d’État, était présent à la barre. Les organisateurs de l’événement avaient préféré participer à l’édition 2025 de la course plutôt qu’au procès.
L’audience débute par une demande de renvoi formulée par les avocats des organisateurs de la No Finish Line. Philippe Verdier, fondateur de l’événement et Carole Favaloro, présidente de l’association Children & Future, sont absents, retenus par l’édition 2025 qui se déroule simultanément. Madame M., présente à l’audience et représentée par Maître Vincent, refuse catégoriquement : les faits remontent à six ans. Serge Telle a fait le déplacement depuis l’étranger. Le procureur s’oppose également au renvoi. Après une courte délibération, le tribunal rejette la demande.
Le seul prévenu présent
Serge Telle, né en 1955, de nationalité française, se tient à la barre. Cet ancien diplomate a été ministre d’État de Monaco de janvier 2016 à octobre 2020. Aujourd’hui gérant d’une société de consulting basée à Londres, il affiche un casier judiciaire vierge. « 40 ans de carrière, je n’aurais jamais pensé me retrouver devant vous aujourd’hui. C’est pénible pour moi, beaucoup plus pour Madame M. En vérité, personne ne devrait être là aujourd’hui », déclare-t-il, évoquant son parcours de diplomate habitué aux négociations complexes. « Les deux collaborateurs dont j’étais le plus proches n’étaient pas joignables au moment de cette décision. J’ai pris cette décision dans des circonstances particulières. »
Philippe Verdier, né en 1962, de nationalité française, est représenté par Maître Filippi. Ancien salarié d’une société de courtage d’assurance, il a fondé la No Finish Line sous l’égide de l’association Children & Future. Son casier judiciaire français révèle une condamnation en 2017 pour agression sexuelle et coups et blessures ayant entraîné une ITT de huit jours. L’association Children & Future, à but humanitaire et non sportive, finance des projets caritatifs en Afrique. Représentée par Maître Cheynut, elle affiche un casier judiciaire vierge.
Une journée sous haute tension météorologique
Les faits remontent au samedi 23 novembre 2019. Dès le vendredi 22, un communiqué de la préfecture des Alpes-Maritimes annonçait des risques d’orages et d’inondations, avec des vagues devant s’amplifier jusqu’au samedi après-midi. Météo France émettait une vigilance jaune vagues-submersion. Face à ces conditions, le parcours de la No Finish Line avait été restreint au petit circuit de 700 mètres, la digue de Fontvieille étant fermée dès le vendredi soir à 22h30.
Le samedi matin, les alertes se multiplient. À 7h33, signalement de vents violents. À 7h55, mail de la préfecture sur les risques de houle. Les prévisions n’annoncent aucune amélioration. À 9h32, Philippe Verdier contacte le directeur général du département de l’Intérieur pour demander la réouverture de la digue, invoquant un afflux attendu d’environ 900 participants. Le directeur refuse catégoriquement : « Je lui ai répondu que ce ne serait pas possible, le risque était trop fort, je ne donne absolument pas l’accord. Il s’est montré agacé mais il a accepté la décision. »
La décision controversée de Serge Telle
Vers 10 heures, Serge Telle arrive sur le site pour participer à la course, accompagné de personnalités politiques monégasques. Philippe Verdier l’aborde immédiatement pour plaider la réouverture. « Quand Monsieur Verdier me dit qu’il y a un risque que toutes les personnes attendues courent ensemble sur 700 mètres, qu’il va y avoir des accidents, je suis pris au dépourvu. Ce n’est pas ma préoccupation que de m’occuper de la sécurité de la course », explique l’ancien ministre d’État. Après un tour d’inspection, Serge Telle prend sa décision : « Je constate qu’il n’y a pas de vent, pas de houle, nous pouvions réouvrir en prenant un certain nombre de précautions. J’ai dit de refermer si la météo se dégrade ». La digue rouvre.
Face aux questions du tribunal sur l’absence de consultation des services compétents, il répond : « Je ne suis pas expert en météo. Je ne savais pas pourquoi c’était fermé. Ceux avec qui je travaille ont l’habitude de me faire remonter les informations, à ce moment-là ils ne sont pas là. » Le tribunal rétorque : « Vous êtes en haut de la pyramide, qui va s’opposer si vous prenez une décision ? »
La catastrophe à 14h28
Madame M., enseignante de 39 ans dans un lycée, effectuait son troisième tour sur la digue. Dès son premier passage, elle avait trouvé la situation étrange. Au deuxième tour, elle constate que les plots sont emportés par les vagues. Elle alerte même un membre de la sécurité au chapiteau : « J’ai dit c’est dangereux sur la digue, ça tape fort, on m’a répondu ne vous inquiétez pas madame ». À 14h28, elle entame son troisième tour. Une première vague déstabilise les participants. Une minute plus tard, une seconde vague plus haute projette Madame M. par-dessus le parapet. Sa chute de cinq mètres est légèrement amortie par le capot d’un véhicule avant qu’elle ne percute le sol. Résultat : multiples fractures du bassin, pronostic vital engagé, ITT de cinq mois. Elle sera hospitalisée à Nice, puis au CHPG jusqu’au 5 janvier 2020.
Le tribunal visionne les images de vidéosurveillance. « J’ai eu un réflexe, celui d’essayer de résister à cette vague. C’était un mur d’eau. J’étais tétanisée », témoigne Madame M. à la barre. Les images révèlent qu’aucun personnel de sécurité de la No Finish Line n’était présent sur la digue. Seul un bénévole se trouvait à l’entrée. Une bénévole interrogée confirmera n’avoir reçu aucune consigne lors de la réouverture et ne pas disposer de talkie-walkie. Maître Cheynut soulève que Madame M. est montée sur le parapet, ce qui expliquerait sa chute. L’avocate de la victime rétorque qu’elle n’était pas la seule à vouloir s’accrocher pour résister à la vague.
Six ans de souffrance
« Six ans après les faits, j’ai toujours des douleurs au bassin, il y a une perte de mobilité. J’ai beaucoup de douleurs qui m’empêchent de mener la même vie qu’avant, on voyageait beaucoup, on faisait pas mal de sport », déclare Madame M. Larmes aux yeux, elle évoque son « handicap invisible » qu’elle cache à ses élèves. Enseignante désormais à Monaco, elle a dû demander un aménagement de poste. « J’ai au moins cette satisfaction de continuer à exercer mon métier. Je mesure au quotidien la chance d’être toujours en vie ». Elle lit une lettre décrivant six ans de douleurs. Le silence s’installe dans la salle. Son avocate précise que l’association et son assurance ont refusé catégoriquement d’indemniser Madame M., contestant toute responsabilité. « L’association et Monsieur Verdier ont mis la vie en danger des participants. Monsieur Verdier essaye de contacter une autorité supérieur pour ouvrir à tout prix la digue sachant qu’il n’y a aucune amélioration des conditions météo dans la journée. À mon sens la décision de Monsieur Telle a été prise bien trop à la légère. »
Le procureur pointe « des fautes commises par les trois prévenus » : absence de responsable sécurité désigné, manque d’anticipation météorologique, absence de talkies-walkies. Concernant Philippe Verdier, présent sur la digue à 14h15 soit douze minutes avant l’accident, le ministère public est cinglant : « Son obstination a été faite à la limite de la faute intentionnelle. Il veut juste qu’un maximum de personnes participent à sa course. » Il requiert six mois de prison dont une partie ferme et 9 000 euros d’amende. Pour Serge Telle, il demande deux à trois mois avec sursis et 4 000 à 5 000 euros d’amende : « Il est arrivé en disant que c’était un temps breton. Je m’indigne, ici c’est une mer très dure qui change en peu de temps. » Le procureur ajoute : « Entendre que c’est la faute de la victime, les bras m’en tombent. C’est une attitude indécente. Personne ne s’est excusé pour Madame M. Elle n’a eu aucune aide depuis son accident. »
Les plaidoiries de la défense
Maître Cheynut, défendant l’association Children & Future, reconnaît avoir été « agacé pendant toute l’audience ». Il insiste sur le caractère imprévisible du drame : « On a affaire à un phénomène qui n’a pas été prévu, c’est soudain. Il manquait des informations ». Il souligne qu’aucune alerte rouge n’existait à Monaco et que Météo France n’a constaté une aggravation qu’à 16 heures, soit après l’accident. « Le cahier des charges a été respecté par l’association. Le gouvernement a conscience qu’il s’agit d’une association de bénévoles qui ne gère pas la sécurité comme le Grand Prix ». Il demande la relaxe.
Maître Filippi, avocate de Philippe Verdier, a défendu l’absence de son client : « La lettre qu’elle a lue n’a laissé personne insensible. Personne ici n’a eu l’intention de contester la douleur qu’elle a subie, qu’elle subit et qu’elle subira. Je lui souhaite d’être indemnisée ». Mais elle conteste fermement les réquisitions : « Je ne suis pas certaine que demander la prison ferme à Monsieur Verdier apaise les souffrances de Madame M. Ce dossier est mené à charge depuis le début de l’instruction. On dit qu’il est méprisant car il a eu l’audace de recourir à une autorité pour ouvrir une digue ? On l’envoie en prison parce qu’il a insisté ? » Elle défend l’absence de son client : « S’il n’est pas là, c’est parce que c’est une semaine dans l’année et Monsieur Verdier veut être représenté. » Elle rappelle que « sa responsabilité, c’est de veiller à ce qu’il n’y ait pas trop de participants en même temps sur sa course » et souligne qu’il y avait la police maritime, les caméras. « Quand la barrière ouvre, il n’y a pas d’accident ni à ce moment-là ni pendant trois heures », insiste-t-elle, ajoutant que son client était « terrorisé de venir au tribunal ». Elle plaide la relaxe.
Enfin, Maître Campana, défendant Serge Telle : « Il est bouleversé par ce qu’a vécu Madame M. Il a fait le déplacement par respect pour la victime et la juridiction. Il ne peut pas s’excuser, car il n’est pas le responsable de cette situation ». Il poursuit : « C’est le circuit qui a été fermé, pas l’espace public. En tant que bon assureur, Monsieur Verdier va chercher quelqu’un pour se couvrir. Comment Monsieur Telle peut-il ouvrir un espace qui est déjà ouvert ? » Sur la décision prise, il rappelle le contexte : « À 10 heures, les bulletins météo étaient jaunes, c’est : faites attention, ce n’est pas : restez chez vous, n’allez pas proche de la mer. On lui reproche d’avoir pris une décision en se basant sur l’observation. Il n’y a pas d’accident à ce moment-là. » Il pointe la non-application des consignes données : « Il a demandé de fermer la digue si ça dégénère, et ils ne l’ont pas fait. On dit même à Madame M. d’y aller, qu’il n’y a pas de problème. » Il ajoute : « Quand on crée un événement de plusieurs milliers de personnes, on crée automatiquement un danger ». Il demande la relaxe.
Pour ses derniers mots à la barre, Serge Telle déclare : « Pour Madame M., que justice lui soit rendue. »
Le délibéré sera rendu le 16 décembre.













