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Interview

Alain Ducasse, Valtteri Bottas, le Yacht Club… Monaco, échiquier narratif du manga « Blitz » de Cédric Biscay

La Principauté de Monaco est le théâtre de ce 11ème tome de Blitz © Monaco Tribune - Iwa / Blitz
La Principauté de Monaco est le théâtre de ce 11ème tome de Blitz © Monaco Tribune - Iwa / Blitz

Deux ans après le précédent opus, le créateur du manga « Blitz » revient avec un onzième tome ancré à Monaco. Rencontre avec Cédric Biscay qui continue de tracer son sillon dans l’univers codifié du manga japonais avec une obstination joyeuse.

Monaco Tribune : Ce jeudi 16 octobre sort le onzième tome de « Blitz » et édité chez Iwa. On retrouve les personnages de l’histoire après deux ans d’absence, c’est un temps long dans l’univers du shônen* !

Cédric Biscay : C’est vrai que deux ans, c’est une éternité dans ce milieu où la production est frénétique. Notre dernière publication était particulière : un chapitre spécial commandé par le gouvernement monégasque sur le harcèlement scolaire pour laquelle j’ai véritablement créé une narration cohérente, une sorte de hors-série. En dehors du discours institutionnel, le manga possède cette grammaire particulière qui permet de toucher directement les adolescents. Entre-temps, j’ai peaufiné ce tome 11 où les héros débarquent enfin à Monaco, après plusieurs tours de qualifications, pour l’apothéose du tournoi : le Monaco Chess Grand Prix. C’était important de prendre le temps de bien orchestrer cette arrivée.

* dans la culture manga le genre du shônen – avec ses codes propres – vise plutôt un public masculin adolescent, tandis que le shôjo s’adresse aux jeunes filles et le seinen aux adultes.

Cédric Biscay, auteur scénariste du manga Blitz © Monaco Tribune - Iwa / Blitz
Cédric Biscay, auteur scénariste du manga Blitz © Monaco Tribune – Iwa / Blitz

Racontez-nous quelle place spéciale occupe Monaco dans ce tome 11 ?

Monaco n’est jamais un simple décor dans ce manga. C’est un personnage à part entière, avec ses codes, ses lieux mythiques, ses figures tutélaires. Le Prince Albert apparaît au tome 4, décrochant son téléphone pour demander que la finale se tienne au Palais – un détail qui dit tout du rapport entre pouvoir et culture dans la Principauté. Pour ce tome, j’ai voulu pousser plus loin cette symbiose. Alain Ducasse accepte une apparition savoureuse, Valtteri Bottas – qui m’a été présenté par Gareth Wittstock – enseigne l’art de la poker face à mon héros impulsif – parce qu’aux échecs, trahir ses émotions, c’est déjà perdre.

Le Yacht Club, dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui, constitue aussi l’un des lieux de l’action. Louis Ducruet m’a personnellement guidé dans la Condamine pour que je puisse retranscrire l’âme du quartier. Il y a cette générosité monégasque qui transcende le protocole. La confiance qu’on m’accorde pour ces représentations, c’est une responsabilité écrasante. Mais c’est aussi ce qui rend l’aventure grisante puisque chaque validation est une petite victoire.

Comment un auteur français parvient-il à exister dans cette abondance de mangas japonais que l’on retrouve aujourd’hui partout ?

Les mangakas sont des experts en la matière, ils maitrisent parfaitement ces codes. Je suis moi-même réticent à lire des mangas non-japonais (rires). Nous avons dû inventer notre propre légitimité et originalité. Les échecs ont l’avantage d’être intergénérationnels et j’observe que Blitz plaît aussi bien aux enfants, aux ados, qu’aux adultes. À cela s’ajoute le cadre de la Principauté et le soutien des acteurs locaux.

Notre coup de génie – ou de folie – a été de faire notre première au Festival de Cannes. Imaginez : un manga sur la plage du Majestic, avec Garry Kasparov en invité surprise. C’était totalement décalé, mais ça a créé l’événement. Cette stratégie de contournement nous a permis d’exister médiatiquement là où un autre manga se serait noyé dans la masse.

Cette collaboration avec Kasparov pour le manga, c’est échec et mat !

L’audace paie parfois. J’ai envoyé un email à une adresse générique de sa fondation américaine, on m’a ensuite donné rendez-vous à Paris, et me voilà face à cette légende vivante. L’homme qui a affronté Deep Blue, qui a incarné le bras de fer de l’humanité face à la puissance de calcul de l’intelligence artificielle – un thème qui résonne étrangement aujourd’hui. Kasparov a immédiatement saisi que le manga représentait un vecteur pour toucher une génération qui ne connaît aujourd’hui des échecs que leur version pixelisée.

Y-voyez-vous un regain d’intérêt pour cette discipline ?

On a souvent tendance à oublier que les échecs sont un sport, cérébral certes mais tout de même. Savez-vous qu’un grand maître peut brûler jusqu’à beaucoup de calories lors d’un tournoi ? L’intensité cognitive, la préparation mentale, la gestion du stress – tout cela relève du vocabulaire sportif. Mais surtout, les échecs ont muté. Ils ont quitté les arrière-salles enfumées pour investir Twitch et YouTube. Le streaming a transformé ce jeu millénaire en spectacle contemporain. C’est cette hybridation entre tradition et modernité qui m’a séduit pour « Blitz ». Les échiquiers poussiéreux sont revenus à la monde, aujourd’hui, on joue en ligne, on commente en direct, on crée des communautés.

© Monaco Tribune – Iwa / Blitz

Les films et anime japonais ont particulièrement la cote ces dernières années. Est-ce que ça vous donne des idées d’adaptation ?

Des producteurs européens m’ont déjà proposé des adaptations, que j’ai déclinées. Je souhaite l’authenticité de l’anime nippon, cette texture particulière, ce rythme, cette grammaire visuelle. Sauf que l’industrie japonaise est vraiment saturée dans ce domaine. Côté américain, on voit aussi Netflix investir beaucoup d’argent dans des super-productions, sauf qu’au Japon l’argent ne suffit pas. Il faut séduire, convaincre, s’inscrire dans une culture. C’est ce que j’ai appris en vingt-cinq ans de collaboration avec ce pays : ce n’est jamais uniquement une question de business.

Avez-vous d’autres projets en cours ?

L’horizon immédiat, c’est une adaptation d’Astroboy. Cela fait dix ans que je porte ce projet, dix ans d’acharnement, de faux départs, de reconfigurations. Aujourd’hui, nous avons enfin bien avancé sur la partie production. Parallèlement, je rêve de ressusciter Magic, un événement pop culture au Grimaldi Forum. Il me manque. Cette effervescence, ce mélange des genres, cette célébration de la culture japonaise en plein Monaco… Je cherche des investisseurs, des partenaires qui comprennent cette vision.

Et puis, récemment nommé conseiller spécial du Palais pour l’exposition d’Osaka, j’ai pu orchestrer des rencontres entre le Prince et des partenaires japonais. En ce qui concerne « Blitz », j’ai imaginé une histoire en vingt-cinq tomes environ, dont six pour clore l’arc monégasque. De quoi m’occuper tout en continuant à vivre ce rêve improbable.