À Grasse, Lancôme cultive la rose centifolia, un trésor pour la parfumerie

Acquis en 2020 par Lancôme, le Domaine de la Rose perpétue à Grasse la tradition séculaire de la culture des plantes à parfum. Sur 7 hectares, cette propriété produit la précieuse rose centifolia et expérimente les méthodes d’extraction de demain.
À quelques kilomètres du centre historique de Grasse, une allée de cyprès et d’oliviers nous mène au Domaine de la Rose. Ce joyau acquis par Lancôme il y a cinq ans bénéficie d’un héritage exceptionnel : « C’est une immense chance pour nous, la terre est restée vierge de tout produit chimique », explique Diane Saurat, guide experte et passionnée du domaine. « Nous avons pu démarrer la culture biologique immédiatement, sans dépollution. »
Ce lieu d’exception, éco-conçu, cultivé en agriculture biologique, est un véritable laboratoire vivant et comprend une quinzaine de plantes à parfum : rose centifolia, jasmin, iris, tubéreuse, immortelle, géranium… « On ne peut pas produire ici l’ensemble des besoins de Lancôme, bien sûr », explique Diane. « Mais ce site est un terrain d’expérimentation extraordinaire. »
Antoine Leclerc, un observateur de la nature

Natif de Grasse, ingénieur paysagiste et producteur de plantes à parfum, Antoine Leclerc a réalisé son rêve en rejoignant Lancôme : « Ma famille travaille dans le parfum depuis 15 générations. Mon rêve, c’était de revenir à la terre, de cultiver les plantes à parfum que je voyais petit. J’ai rencontré Lancôme en 2019. C’est là que tout a commencé », explique-t-il. Antoine a sélectionné les plantes qui étaient le plus à même de se sentir bien ici et observe quotidiennement leur développement : « Observer les plantes, voir comment elles évoluent, c’est mon métier. L’agriculture biologique, c’est une relation quotidienne avec la nature. On ne traite pas de manière systématique, on anticipe, on accompagne », précise-t-il. Des défis sur cette propriété, Antoine sait y faire face : « Il faut adapter notre itinéraire technique de culture à chaque plante, pour qu’elles puissent vivre heureuses, dans un climat qui n’est pas le leur. Nous avons presque 50 mètres de dénivelé. En hiver, par exemple, il y a des écarts de température de presque 10 degrés entre le haut et le bas du domaine. D’une restanque à l’autre, vous avez ou trop d’eau, ou trop de sécheresse. L’eau, dans le monde du végétal, il en faut ni trop ni trop peu, etc. Donc, on a essayé d’apprivoiser la propriété, on a créé une pépinière. »
Un terroir unique
La réputation de Grasse s’explique par sa géographie exceptionnelle : « Nous sommes un des seuls endroits au monde où on a des montagnes à 2 500, 3 000 mètres d’altitude à quelques kilomètres et la mer à proximité », souligne Antoine. Le relief karstique génère de nombreuses sources souterraines. « On a une dizaine de sources sur la propriété », précise-t-il. Le sol argileux, profond de quatre mètres, constitue un atout majeur. « Les argiles peuvent retenir l’eau, retenir les éléments nutritifs et alimenter les plantes ». Sur ce terroir, le domaine cultive une quinzaine de plantes à parfum : rose centifolia, jasmin, iris, tubéreuse, immortelle, géranium. « On veut un équilibre biologique. Multiplier les espèces, c’est limiter les déséquilibres ». La Ligue pour la Protection des Oiseaux a, par ailleurs, recensé plus de 280 espèces de flore et de faune. La topographie du terrain, en terrasses, est soutenue par des murs en pierre sèche, construits sans ciment, qui abritent des insectes et petits mammifères. Ils font partie du patrimoine local et sont désormais inscrits au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO.
La rose centifolia, reine de mai

La star du domaine reste la rose centifolia : « C’est une rose ancienne, très peu hybridée. Elle conserve ses caractéristiques d’origine, contrairement aux roses modernes issues de croisements intensifs. Ce n’est pas une plante endémique, mais c’est une plante historique de Grasse, puisqu’on la cultive depuis le XVIIᵉ siècle. Elle a une signature olfactive unique », indique Diane. La floraison ne dure qu’au mois de mai : « Sur un pied de centifolia, on va récolter jusqu’à 300 fleurs. Ça nous permet d’avoir un volume suffisant pour rendre une extraction rentable », précise Diane. La cueillette s’effectue à la main, selon un geste ancestral : « On prend trois petits doigts. On met deux doigts de part et d’autre du pédoncule pour bloquer la fleur, le pouce au centre. On fait bien attention à ne pas abîmer les boutons qui sont aux côtés ». L’urgence est absolue : « La rose ne tient qu’une seule journée. Après, elle fane et les pétales tombent par terre. Entre le moment où on la récolte dans le champ et où elle arrive dans la machine d’extraction, il ne faut pas que cela dépasse deux heures. »
Un parfum sans égal
Tous les parfumeurs s’accordent à dire que la rose de Grasse a un parfum sans égal : « C’est ce qui explique que cette petite rose est aussi prisée par les parfumeurs. C’est un vrai cadeau de la nature que de l’avoir. On a un parfum qui se compose de près de 400 molécules différentes », détaille Diane. « On a une note très végétale au début qui s’apparente à celle de l’artichaut. Ensuite, des facettes citronnées, fleur d’oranger. Et une note épicée due à une molécule qu’on retrouve dans le clou de girofle. C’est déjà un parfum à elle toute seule. » La rose Centifolia avait bien failli disparaître. En cultivant des milliers de rosiers de cette variété, le domaine contribue à préserver et à développer cette rose emblématique.
Cette culture artisanale exige un savoir-faire, propre au domaine : « Tout le travail fait sur la propriété est fait à la main. Et ça n’a pas changé depuis 300 ans. Ici, vous avez une personne par hectare », explique Antoine. Pendant la récolte, 15 à 20 personnes viennent quotidiennement. « Il faut absolument qu’on passe tous les jours au milieu des champs pour cueillir ce qu’il peut y avoir. »
Une technique d’extraction révolutionnaire
Le domaine a récemment expérimenté une nouvelles méthode d’extraction : « C’est révolutionnaire parce qu’on n’a pas énormément de quantité. 40 kilos de rose vont nous donner un kilo de matière première ». Le principe est simple : un courant d’air à température ambiante récupère les molécules volatiles. « Si votre nez peut le sentir, on peut l’extraire ». Cette innovation, exclusive au groupe L’Oréal depuis 2023, permet d’extraire des plantes jusqu’alors impossibles à capturer naturellement.

L’orgue à parfums
Conçue par l’agence NeM Architectes avec des matériaux locaux et biosourcés, la Maison Rose et son entrée circulaire inspirée du « Ô » de Lancôme ont valu au domaine la certification Or BDM (Bâtiment Durable Méditerranéen) pour sa construction durable. On y trouve à l’intérieur, un orgue à parfums exceptionnel.

Cet instrument unique a été doré par les ateliers Gohard, manufacture historique qui a notamment œuvré au château de Versailles. « Ce lieu de création permet aux maîtres parfumeurs de Lancôme d’orchestrer leurs créations, en sélectionnant et combinant avec précision des essences méticuleusement élaborées », explique Diane. L’orgue contient des centaines de matières premières classées par famille olfactive, des plus fraîches aux plus capiteuses, incluant les ingrédients produits sur le domaine. Depuis août dernier, cet orgue a contribué à la création de la ligne Absolue, collection premium de 11 parfums centrée sur la rose centifolia du domaine.
Au-delà de la production, le domaine porte une mission de transmission auprès des visiteurs et professionnels. Activités pédagogiques, découverte des techniques biologiques et de la biodiversité : autant de façons de perpétuer ce savoir-faire grassois inscrit au patrimoine UNESCO.
Ouvert chaque deuxième mercredi du mois (hors jours fériés et août) ainsi que lors des Journées du patrimoine, le domaine propose des visites gratuites sur réservation obligatoire. Les créneaux sont disponibles un mois à l’avance.