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Récit

Quand l’art millénaire du bonsaï dialogue entre Monaco et le Japon

Satoru Oro observe le bonsaï pour apprécier son énergie © Benjamin Godart - Monaco Tribune

Dans les jardins de la Villa Paloma, le 23 septembre, une démonstration rare du maître japonais Koji Hiramatsu révèle les secrets d’un art qui transcende les frontières culturelles.

Protégés du soleil par deux grands parasols blancs, deux bonsaï trônent sur une table de fortune installée sur la terrasse de la Villa Paloma. Mis à disposition par Jonathan Pons, de Bonsaï Center, l’un des deux pins noirs touffus s’apprête à recevoir une taille méticuleuse réalisée par Koji Hiramatsu, maître bonsaïka.

En cette fin de septembre, sur les hauteurs de Monaco au Nouveau Musée National, se joue une partition singulière où se mêlent diplomatie culturelle et tradition séculaire. Autour de cette table improvisée se pressent les curieux amateurs de botaniques. « C’est la première fois que je vois une taille de bonsaï », avoue Didier Gamerdinger, ambassadeur de Monaco au Japon, ce qui souligne la rareté de ces moments de transmission directe. Les regards convergent vers les gestes méticuleux d’un homme venu de l’autre bout du monde pour partager les secrets d’un art vieux de huit siècles.

Le maître japonais Koji Hiramatsu taille un bonsaï sur la terrasse de la Villa Paloma © Benjamin Godart - Monaco Tribune
Le maître japonais Koji Hiramatsu taille un bonsaï sur la terrasse de la Villa Paloma © Benjamin Godart – Monaco Tribune

Une géographie des sensibilités partagées

La présence de la délégation nippone à Monaco n’est pas fortuite. Tsuyoshi Ogawa, président de l’Organisation pour la Promotion des Produits Locaux de la préfecture de Kagawa, inscrit cette visite dans une logique de rapprochement culturel qui dépasse les contingences commerciales : « En 2023 nous avons visité le Garden Club de Monaco. Je suis très honoré de présenter le savoir-faire de notre bonsaïka dans ce cadre privilégié du Nouveau Musée National de Monaco, à la villa Paloma en la présence de son directeur Björn Dahlström et de membres du Garden Club ».

Le directeur du Nouveau Musée National de Monaco Björn Dahlström choisit l'orientation pour la taille © Benjamin Godart - Monaco Tribune
Le directeur du Nouveau Musée National de Monaco Björn Dahlström choisit l’orientation pour la taille. © Benjamin Godart – Monaco Tribune

Cette démarche s’enracine dans une conviction profonde : celle d’une proximité spirituelle entre les deux territoires. « Kagawa est une région magnifique dotée d’une riche nature et d’un climat doux avec la mer intérieure Seto et de nombreuses productions agricoles locales (…) merci à son altesse Caroline, princesse de Hanovre de nous permettre de faire découvrir notre culture », poursuit M. Ogawa, en détaillant les spécificités de cette préfecture au nord du Shikoku japonais.

La transmission d’un savoir millénaire

Maître Koji Hiramatsu, héritier de la quatrième génération du domaine Hiramatsu Shunshoen – une lignée vieille de cent cinquante ans –, incarne cette tradition vivante du bonsaï de Takamatsu. Face aux deux spécimens présentés, l’un octogénaire issu d’une mutation extraordinaire, l’autre quadragénaire, il livre les clés d’une philosophie esthétique complexe.

« Le bonsaï a un visage et un dos », explique-t-il avec la patience du pédagogue, avant d’inviter Björn Dahlström à juger quelle serait la face à présenter au public. Le choix est approuvé par Satoru Oro, président de l’Association pour la Promotion d’Export de Takamatsu Bonsaï. « J’aurais choisi l’autre côté puisqu’en l’observant j’ai trouvé que la première courbure du tronc de la racine était trop développée. De l’autre côté on voyait plus de mouvement », taquine quant à lui Koji Hiramatsu en défendant sa vision. Une divergence d’appréciation qui révèle toute la subjectivité inhérente à cet art, où chaque regard porte en lui sa propre vision de l’harmonie.

L’alchimie du geste et de la pensée

La démonstration se déploie alors selon un protocole immuable : désépaississement des pousses superflues, création des Jin – ces branches mises à nu de leur écorce qui confèrent à l’arbre son caractère vénérable –, puis ligature au fil métallique. « Ligaturer deux branches permet d’imposer une direction, de contraindre l’arbre en lui donnant une nouvelle forme », détaille le maître, sollicitant l’aide d’un membre de l’assistance pour la création des Jin.

Chaque geste s’accompagne d’une philosophie que Satoru Oro, président de l’Association pour la Promotion d’Export de Takamatsu Bonsai, traduit en maximes universelles : « Notre métier vise à insuffler une énergie différente à un arbre. Nous sommes et serons toujours nourris par la nature, nous ne faisons que restituer cette énergie. »

S’adressant aux novices du Monaco Garden Club, il poursuit cette leçon de sagesse végétale : « Si nous nous occupons d’un arbre avec amour, il changera de visage avec cet amour. Il en va de même pour les humains ». Sagesse tempérée par les exigences techniques propres à chaque essence : « Les bonsaï de pins ne sont pas les plus faciles à entretenir et à tailler. Si on coupe une branche, pas le droit à l’erreur car il n’y a pas de repousse, à la différence des bonsaï d’oliviers », conseille-t-il aux novices à la main verte.

Une esthétique de la contemplation

Au-delà de la technique se dessine une esthétique particulière, celle d’un art qui « exprime la puissance et la grandeur de la nature dans un petit arbre en pot », selon les mots de Satoru Oro. Cette miniaturisation du sublime naturel appelle un regard spécifique : « Quand vous êtes en dessous d’un grand arbre vous le regardez d’en bas, il faut faire de même avec le bonsaï pour admirer toute sa majesté. »

Cette démonstration monégasque s’inscrit dans une mission plus vaste que se sont assignés les organisateurs de l’évènement : transmettre aux nouvelles générations, particulièrement sensibles à la culture nippone, « l’importance de la connaissance de la nature, l’amour pour celle-ci, et surtout, la nécessité de prendre soin d’elle en permanence ».

Grâce au partenariat noué avec Bonsaï Center, établi à Nice depuis 1988, cette tradition séculaire trouve sur la Côte d’Azur un terreau propice à son épanouissement, créant entre Takamatsu et Monaco un pont culturel où se conjuguent spiritualité de l’Orient et raffinement méditerranéen. Un dialogue silencieux entre deux civilisations qui, par-delà leurs différences, partagent une même révérence pour la beauté domestiquée de la nature.