Marie-Catherine de Brignole-Sale, la Princesse de Monaco devenue mécène des Lumières
Le Château de Chantilly consacre une exposition exceptionnelle à cette figure méconnue qui fut l’épouse du Prince Honoré III avant de s’émanciper pour devenir une mécène influente du siècle des Lumières. Une rétrospective inaugurée par le Prince Albert II en octobre dernier.
C’est une histoire romanesque que le musée Condé fait revivre depuis cet automne. Présent à Guiscard puis à Chantilly le 18 octobre, le Souverain monégasque a levé le voile sur l’histoire tumultueuse de Marie-Catherine de Brignole-Sale, une ancêtre mise à l’honneur jusqu’au 4 janvier 2025 au Château de Chantilly.
Une héritière génoise sur le Rocher
Née le 16 septembre 1738 à Gênes, Marie-Catherine grandit au sein de l’une des familles les plus influentes de la république méditerranéenne. Fille unique du marquis de Brignole-Sale et nièce du doge, elle bénéficie d’une éducation parisienne raffinée. L’écrivain Horace Walpole la qualifie même de « plus jolie femme de France ».

C’est précisément cette beauté qui attire l’attention du Prince Honoré III de Monaco. Celui que l’on surnomme « Honoré le Pieux » approche alors de ses quarante ans et doit assurer sa succession. Il a hérité de domaines en Normandie par sa branche paternelle et aspire à une alliance prestigieuse dans la noblesse française. Mais le destin en décide autrement : alors qu’il entretient une liaison avec la marquise Anna Balbi, mère de Marie-Catherine, c’est de la fille qu’il s’éprend.
Le mariage célébré le 15 juin 1757 à Monaco débute sous de mauvais auspices. L’arrivée de la future Princesse Marie-Catherine provoque un imbroglio protocolaire : le Prince Honoré III refuse de monter à bord du navire génois pour accueillir sa fiancée, estimant qu’un monarque ne saurait se déplacer vers quiconque. La délégation génoise, tout aussi fière, campe sur ses positions. Il faudra négocier un compromis – les époux se rencontreront au milieu d’une passerelle entre le navire et le quai.


La rupture qui fit scandale
Malgré ces tensions initiales, Marie-Catherine assume son rôle avec dignité. Elle donne naissance à deux fils : le futur Honoré IV en 1758, puis Joseph quelques années plus tard. La jeune Princesse fréquente les salons parisiens et tient son rang à l’hôtel de Matignon, résidence du couple dans la capitale.

Pourtant, l’union se détériore inexorablement. L’ennui gagne Marie-Catherine, qui supporte mal l’éloignement de la vie parisienne et refuse de séjourner sur le Rocher. Des rumeurs persistent sur ses sentiments pour Louis Joseph de Bourbon, Prince de Condé, héros de la guerre de Sept Ans et seigneur de Chantilly. Le caractère ombrageux d’Honoré III et des témoignages évoquant de mauvais traitements achèvent de ruiner cette union.
Le 31 décembre 1770, le parlement de Paris prononce une séparation de biens et de corps en faveur de la Princesse. Une décision retentissante pour l’époque, facilitée par l’influence du Prince de Condé auprès des magistrats.

Mécène et femme des Lumières
Désormais libre, Marie-Catherine s’épanouit enfin. Cette lectrice des philosophes existe en son nom propre et peut vivre ouvertement son amour avec le Prince de Condé. Elle commande à l’architecte Alexandre Brongniart un hôtel particulier près du Palais Bourbon, demeure détruite à la Révolution et reconstruite depuis pour abriter l’ambassade de Pologne.
Non loin de Chantilly, elle acquiert le château de Betz dans l’Oise, qu’elle transforme en laboratoire artistique. Elle y cultive le goût rousseauiste du retour à la nature et encourage les jardins à l’anglaise ornés de fabriques pittoresques. Le peintre Hubert Robert travaille pour elle et conçoit une remarquable tour gothique en ruine, témoignage précoce d’une esthétique néomédiévale promise à un brillant avenir.




L’exil et l’ultime consécration
La Révolution française balaie ce monde raffiné. Le Prince de Condé prend la tête d’une armée contre-révolutionnaire. Marie-Catherine le suit sur les routes d’Europe, de l’Italie à la Russie. Honoré III, emprisonné à Paris, meurt en 1795, après avoir vu la Principauté annexée à la France et sa belle-fille guillotinée.
Finalement réfugiés en Angleterre, les deux amants peuvent enfin sceller leur union. Le 24 décembre 1808, à Wanstead House, le Prince de Condé, 72 ans, épouse Marie-Catherine, 70 ans. L’émouvant contrat de mariage, signé par les princes français en exil, couronne plus de quarante années d’un amour constant.
Marie-Catherine s’éteint à Wimbledon le 2 mars 1813, sans avoir revu la France. Elle aura été successivement Princesse de Monaco puis Princesse de Condé, incarnant le destin singulier d’une femme qui, dans un siècle où le mariage constituait souvent une prison dorée, sut conquérir son indépendance.
L’exposition « De Monaco à Chantilly. Une Princesse des Lumières en quête de liberté », placée sous le Haut-Patronage du Prince Albert II, se tient au cabinet d’arts graphiques Prince Amyn Aga Khan du Chateau de Chantilly jusqu’au 4 janvier 2026.













