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Récit

Affaire Hélène Pastor : dix ans de combat pour la vérité

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Wojciech Janowski / DR

Le pourvoi en cassation du gendre d’Hélène Pastor vient d’être rejeté. Retour sur une affaire qui a suscité une vive émotion en Principauté et au-delà.

Nice, le 6 mai 2014. Hélène Pastor, femme d’affaires monégasque dont la fortune est estimée à 12 milliards d’euros, se rend à l’hôpital Larchet. Comme tous les jours, elle rend visite à son fils, Gildo, victime d’un AVC quelques mois auparavant.

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Une fois sortie de l’établissement de santé, elle se rend sur le parking, afin de rejoindre son véhicule, conduit par son chauffeur Mohamed Darwich. C’est alors que des coups de feu retentissent : la voiture est prise pour cible par un homme, armé d’un fusil de chasse, qui tire à bout portant.

L’attaque est fatale : Mohamed Darwich décède le 10 mai des suites de ses blessures, ainsi qu’Hélène Pastor, 77 ans, dans la nuit du 20 au 21 mai.

Très vite, les caméras de surveillance du parking permettent d’identifier le tireur et son complice. Samine Saïd Ahmed, le tueur présumé, et Alhair Hamadi, deux jeunes Comoriens venus de Marseille, sont interpellés. La garde à vue révèlera qu’il ne s’agit nullement d’une attaque opportuniste, mais d’un assassinat commandité.

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Hélène Pastor et Gildo Pallanca-Pastor. DR

Une « haine tenace » envers Hélène Pastor

Les deux jeunes hommes désignent unanimement Wojciech Janowski, homme d’affaires et entrepreneur polonais. Bien connu en Principauté, il a occupé, entre autres, le poste de co-coordinateur des échanges entre la Chambre nationale de commerce polonaise et la Chambre de développement économique de Monaco, créée par Michel Pastor, le frère de la victime. Il a même, en 2010, été nommé officier de l’ordre national du Mérite par le Président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy, en raison de son engagement caritatif, notamment en faveur des enfants, parfois autistes.

Mais Wojciech Janowski est aussi et surtout, depuis près de trente ans, le compagnon et père du deuxième enfant de Sylvia Ratkowski, la propre fille d’Hélène.

Wojciech Janowski et son épouse Sylvia Pastor, fille d’Hélène © Getty

Qu’est-ce qui a donc poussé cet ancien consul honoraire bénévole de Pologne à Monaco à commettre une telle atrocité ? Arrêté le 23 juin 2014, il reconnaît, après sa sixième audition le 26 juin, avoir commandité le meurtre de sa belle-mère par passion pour son épouse, « malmenée psychiquement par sa mère. » Janowski avoue même avoir été aidé par son coach sportif (qui aurait recruté les assaillants)… avant de se rétracter.

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Invoquant une mauvaise maîtrise du français, bien qu’il n’ait a priori pas demandé d’interprète, Wojciech Janowski clame finalement son innocence. Mais les enquêteurs découvrent que plusieurs éléments jouent en sa défaveur. A commencer par les gros problèmes financiers auxquels l’homme d’affaires polonais était confronté, en dépit de la fortune de son épouse et de sa famille.

Plus accablant encore, justement, Wojciech Janowski aurait nourri une haine tenace envers sa belle-mère, qui allouait 500 000 euros d’argent de poche mensuels à sa fille. « Il ne vivait que sur cet argent. Il était aux abois et risquait d’être condamné à 30 millions d’euros par la justice polonaise [pour avoir, en 2011, racheté une ancienne raffinerie de pétrole polonaise sans jamais régler la facture, ndlr] », aurait confié, de surcroît, une source proche du dossier à Midi Libre. Le quotidien ajoute par ailleurs que Janowski se serait « possiblement senti aussi humilié par une belle-mère méfiante et dure en affaires. »

Le coach sportif avoue tout

De plus, à l’été 2014, Pascal Duriac, le fameux coach sportif de Janowski, passe aux aveux en garde à vue. Il révèle avoir effectivement supervisé le recrutement de Samine Saïd Ahmed et d’Alhair Hamadi, pour un montant de 140 000 euros. Duriac confie également que son employeur comptait aussi faire tuer Gildo par « un tir lointain », comme le dévoile L’Express, dans un long article publié en 2017.

Et c’est cette même année qu’après plusieurs mois d’enquête, dix accusés sont renvoyés devant la Cour d’assises pour assassinats, complicité d’assassinats et association de malfaiteurs. Parmi eux, bien sûr, les deux commanditaires du guet-apens, ainsi que le tireur et le guetteur, mais aussi Abdelkader Belkhatir, beau-frère de Pascal Duriac, suspecté de l’avoir mis en relation avec les assaillants marseillais, comme l’explique Nice-Matin. « Trois autres personnes, dont un ancien gendarme auxiliaire volontaire [Omer Abale Lahore, Anthony Colomb et Salim Youssouf, ndlr], sont suspectés d’avoir servi d’intermédiaires ou de fournisseur d’arme », précise le quotidien azuréen.

Quant aux deux derniers accusés, il s’agit, selon Nice-Matin et Le Monde, d’un « voyou marseillais », Francis Pointu, accusé de faux témoignage, et de sa voisine, une avocate polonaise, nièce de Janowski, qui comparaît pour subornation de témoin. Cette dernière aurait en effet, à la demande de son oncle, versé 60 000 euros à Francis Pointu, pour qu’il établisse un faux témoignage chez le juge d’instruction en faveur de Janowski et à charge contre Duriac.

Mais au sein de la communauté polonaise, l’on reste sceptique. Nombreux sont ceux qui soutiennent Janowski, notamment à Nice, comme en témoigne un reportage tourné par BFMTV. L’homme d’affaires est décrit comme « un membre de la famille » par le président de l’Amicale polonaise de Nice, dont il est le plus généreux donateur. Impossible pour lui, comme pour les autres nationaux qu’un homme qui a tant fait pour les autres ait pu commettre un tel acte. Et pourtant.

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Un mois de procès

Le procès s’ouvre le 17 septembre 2018 devant la Cour d’assises d’Aix-en-Provence. S’ensuit alors un mois entier d’audiences, au cours desquelles les révélations mises au jour pendant l’enquête s’enchaînent. Selon L’Express, Sylvia Ratkowski remettait chaque mois, en toute confiance, un chèque en blanc à son compagnon. Janowski y inscrivait systématiquement un montant compris entre 200 000 et 250 000 euros, et le déposait sur le compte de Sylvia à la BNP de Monaco. Officiellement, cette somme devait couvrir leurs frais fixes et leurs dépenses courantes.

Or, pendant un an et demi, et jusqu’à l’attaque, sur les 9 millions d’euros qu’Hélène Pastor avait versés à sa fille pendant ce laps de temps, 6,5 millions ont été transférés sur le compte personnel de Janowski. Un million d’euros supplémentaire fut également déposé sur le compte d’une société baptisée Firmus. Une société qui provisionnait le compte personnel de Janowski lui-même.

Se disant « scotchée » par l’ampleur de ces détournements, Sylvia Ratkowski découvre toute les supercheries financières orchestrées par son compagnon : l’hypothèque secrète de leur maison à Londres, l’« oubli » de paiement de l’assurance de la voiture de Sylvia, ainsi que de son assurance-maladie… Janowski a même prétendu verser 500 000 euros par an pour financer les études dentaires aux Etats-Unis d’Olivia, fille de Sylvia issue d’une précédente union, alors que lesdites études n’en coûtaient que la moitié.

Autant de magouilles qui n’ont pas suffi à résoudre les problèmes d’argent de l’homme d’affaires polonais, qui aurait donc pris la décision de commanditer l’assassinat d’Hélène Pastor.

Janowski plaide son innocence

« Je suis innocent, je n’ai commis aucun crime, c’est tout », clame cependant Janowski à la barre, dès le premier jour du procès. Le Monde couvre les audiences. Pour défendre l’homme d’affaires, Me Dupond-Moretti, ténor du barreau, aujourd’hui Garde des Sceaux.

Ce dernier dénonce, dans un premier temps, les conditions de la garde à vue de son client et déplore l’absence d’un avocat au cours des premières heures. La proposition avait pourtant été faite à l’accusé, qui l’a déclinée. La diffusion de la vidéo de la garde à vue achève de convaincre l’auditoire que cette dernière s’est déroulée sans bavures.

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Et Janowski n’est pas le seul à plaider son innocence. Samine Saïd Ahmed, le tireur présumé, nie également les charges qui pèsent sur lui. Et ce malgré les – très – nombreuses erreurs commises par les auteurs du guet-apens, notamment l’oubli d’un flacon de gel douche dans une chambre d’hôtel juste avant l’attaque (sur lequel des traces ADN ont été prélevées), ou le fait de s’être rendu sur les lieux du crime en taxi.

A l’opposé, en revanche, Pascal Duriac plaide coupable et ajoute avoir agi sous les ordres et l’emprise de Janowski. De même, Alhair Hamadi reconnaît avoir fait office de guetteur, mais se rétracte sur ses précédentes déclarations, où il avouait avoir recruté le tireur.

Quant aux autres accusés, toujours selon Le Monde, ils semblent plus dépassés par cette affaire qu’autre chose. « J’suis pas un tueur, chacun ses projets », affirme l’un. « J’ai juste voulu rendre service à un ami », plaide l’autre.

« Je n’ai plus maman, je n’ai plus Wojciech, je n’ai plus rien »

Les témoins de la scène passent ensuite à la barre, pour la reconstitution des faits. L’un d’eux, comme le rapporte Le Figaro, est l’homme avec qui Hélène Pastor a échangé pour la dernière fois avant l’attaque. Se remettant lui-même d’un AVC, comme Gildo, Philippe fumait alors une cigarette dans son fauteuil roulant. « Madame Pastor – je ne savais pas qui c’était à ce moment – a discuté avec moi. Elle m’a demandé ce qui m’était arrivé. Puis elle m’a dit qu’il fallait garder espoir, que la médecine avait fait beaucoup de progrès », a-t-il déclaré devant la Cour d’assises, avant d’expliquer avoir cru à une tentative de vol à l’arrachée.

Car pour couvrir les vraies motivations de l’attaque, Janowski et Duriac auraient effectivement promis un « bonus » aux assaillants, en échange du meurtre du chauffeur et de la récupération du sac d’Hélène Pastor, faisant ainsi croire à un vol qui aurait mal tourné. Bonus de 40 000 euros en tout.

Puis vient le témoignage de Sylvia Ratkowski, qui s’est constituée partie civile et qui raconte son entretien avec Janowski en garde à vue. « Il m’a dit que c’était lui le commanditaire, qu’il avait voulu me sauver. Et après, je me suis évanouie », se souvient-elle.

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Depuis, l’accusé s’est rétracté. « Estimez-vous que Wojciech Janowski est coupable ? », demande-t-on à Sylvia. « C’est tellement hallucinant que je ne sais plus quoi penser. Je n’ai plus maman, je n’ai plus Wojciech, je n’ai plus rien. J’attends la vérité », répond-elle.

Perpétuité requise

Et la vérité finit par éclater. Après avoir de nouveau clamé son innocence, affirmant même avoir subi des menaces et une tentative d’extorsion de fonds par Pascal Duriac, Janowski est finalement acculé face aux éléments contradictoires soulevés au cours de l’enquête et du procès.

L’avocat général, Pierre Cortès, requiert la peine la plus lourde contre Janowski, accusé d’avoir commandité le double assassinat d’Hélène Pastor, et de Mohamed Darwich. Pierre Cortès estime même que le macabre projet a vu le jour en 2012, lorsque Sylvia Ratkowski s’est vu diagnostiquer un cancer du sein. Une maladie qui avait rappelé à Janowski qu’en cas de décès de sa compagne, puisqu’il ne figurait pas sur son testament et qu’ils n’étaient pas mariés, il ne toucherait plus rien.

La réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de vingt-deux ans, est ainsi requise à son encontre. La réclusion criminelle à perpétuité est également demandée contre le tueur et le guetteur.

Pour Pascal Duriac, l’avocat général requiert trente ans de réclusion. Pour les six autres, selon leur rôle joué dans cette affaire, Pierre Cortès appelle à des peines comprises entre deux et 18 ans de prison.

Me Dupond-Moretti tente une dernière fois de sauver son client, en plaidant coupable pour le seul assassinat d’Hélène Pastor et non de celui de Mohamed Darwich.

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Wojciech Janowski « a compris dès le début qu’il était présenté comme un type abject. Je veux un instant vous parler de lui. Il est né sous la Pologne communiste, stalinienne. Il a vu sa mère partir en prison. Tous les biens de son père confisqués. Et dans la famille Pastor, il va devenir le minable de service. On exige de lui qu’il ne soit pas pauvre. Alors oui, il va s’inventer des diplômes. Alors oui, il va mentir. Mais on n’a jamais menti, nous autres? Eh oui, il va essayer d’exister », plaide l’avocat.

« Ma seule motivation, c’était l’amour pour ma femme et la souffrance de mes enfants », avait expliqué son client lors de la garde à vue. « Voilà le mobile, voilà le crime de Wojciech Janowski », tonne Me Dupond-Moretti.

La Cour de cassation rejette le pourvoi

Wojciech Janowski est finalement condamné à la prison à perpétuité, sans période de sûreté. La même peine est prononcée contre Samine Saïd Ahmed et Alhair Hamadi. Pascal Duriac, lui, est condamné à trente ans de prison.

Par la suite, Janowski porte plainte contre son avocat en 2019, pour avoir plaidé coupable sans son autorisation et pour « non-assistance pendant l’instruction », Me Dupond-Moretti ne lui ayant, selon Le Monde, rendu visite que deux fois en cinq ans. Ce dernier, contacté par l’AFP, aurait invoqué le « secret professionnel de l’avocat » et aurait donc refusé de s’exprimer à ce sujet.

Les peines de perpétuité ont été toutefois confirmées par la Cour d’assises d’appel des Bouches-du-Rhône pour le commanditaire et les exécutants en 2021 (après un report dû à la pandémie de Covid-19).

Tous trois et Omer Lohore, condamné à six ans de prison, avaient, en dernier recours, formé un pourvoi en cassation. La plus haute juridiction française a cependant décidé, comme le rapporte 20 Minutes, de rejeter le pourvoi en question le 21 juin dernier. Presque dix ans après les faits, cette décision met un point final à une affaire qui a marqué à jamais l’Histoire de Monaco.

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