Interview

Polar Pod : Jean-Louis Etienne présente une station océanographique révolutionnaire

ceremonie_grande_medaille_albert_1_20231122_musee_oceanographique_monaco©institut_oceanographique_cedou 052
L'explorateur français était à Monaco ce mercredi 21 novembre pour recevoir une Grande Médailler Albert Ier, qui récompense les personnalités qui œuvrent en faveur de la protection de l’océan. ©Institut Océanographique

L’explorateur français a été récemment récompensé à Monaco pour son travail de médiation en faveur de la protection des océans. Il travaille actuellement sur un projet sans précédent, celui de la station océanographique Polar Pod, destinée à explorer l’océan Austral.

Les exploits de Jean-Louis Etienne ne datent pas d’hier. En 1986, il devenait le premier homme à rejoindre le Pôle Nord en solitaire ; en 1989 et 1990, il était le co-leader de l’expédition internationale Transantarctica, la plus longue traversée de l’Antarctique en traîneau à chiens. Depuis, le médecin et explorateur français navigue entre l’océan Arctique, l’océan Pacifique, la terre ferme et les multiples projets.

Publicité

Une vie de recherche et d’exploration pour laquelle il a été récompensé ce mercredi 22 novembre à Monaco par une Grande Médaille Albert Ier. Et c’est dans la catégorie médiation – qui met en lumière l’engagement d’hommes et de femmes de la société civile qui oeuvrent pour mettre en avant les océans – à l’âge de 76 ans, que Jean-Louis Etienne reçoit cette médaille des mains du Prince Albert II. « C’est un honneur. Je fréquente beaucoup les régions polaires et Albert Ier était vraiment un explorateur de ces régions. Notamment dans la section médiation, c’est vraiment quelque chose que j’aime faire. Quand vous fréquentez le terrain, c’est une force », admet-il.

Le Prince Albert II a remis la Grande Médaille Albert Ier à Jean-Louis Etienne. © Institut Océanographique

Il revient d’ailleurs tout juste d’une expédition en Antarctique à bord du bateau Persévérance, un navire taillé pour la science et l’exploration à bord duquel Jean-Louis Etienne organise régulièrement des « croisières d’aventures » ouvertes au public. Le septuagénaire entretient sa relation avec le « continent blanc », sur lequel il retournera d’ailleurs dans quelques semaines, pour un nouveau mois et demi d’expédition. Toujours à bord du Persévérance, embarcation bien utile pour se rendre là-haut, mais dont l’ambition première est celle de soutenir un projet, peut-être le plus ambitieux du monde de l’exploration océanographique. Il s’agit de l’expédition Polar Pod, qui occupe les pensées de Jean-Louis Etienne depuis près de douze ans maintenant et qui pourrait se concrétiser dans les années à venir.

Une station éco-responsable pour explorer l’océan Austral

« C’est un bateau qui n’existe pas, une innovation totale ». Jean-Louis Etienne le sait, le pari du Polar Pod est celui de la construction d’une station océanographique unique, d’une centaine de mètres de longueur et plongée à la verticale dans l’océan, laissant seulement dépasser une partie de sa structure hors de l’eau. Le Polar Pod profite de 75 mètres de tirant d’eau, lui offrant une meilleure résistance face à un océan très houleux. L’inspiration est d’ailleurs venue à l’explorateur depuis les Etats-Unis où il a passé les deux premières années de recherche pour le Polar Pod à étudier le FLIP, un navire à la verticale construit par l’US Navy dans les années 60, qui est aujourd’hui une station de recherche.

Pour le Polar Pod, l’État français prend à charge la construction de la station. La première tôle devrait être posée au début de l’année prochaine, au coeur des chantiers Piriou à Brest. Et par sa conception, un navire respectueux de l’environnement est ambitionné lors de son utilisation. « L’océan Austral, c’est un courant : le courant circumpolaire antarctique. On a fait le choix d’utiliser ce courant comme moteur de déplacement et à cela s’ajoutent six éoliennes pour produire notre énergie », décrit Jean-Louis Etienne qui met en avant un « navire zéro émission », poussé par le courant et dont l’électricité à bord sera fournie par les vents d’ouest, omniprésents dans cette région du globe.

L’explorateur espère une première sortie pour 2026. Le Polar Pod partirait alors pour trois années d’expédition, autour de l’Antarctique, dans les eaux profondes de l’océan Austral. Et pour accompagner, ravitailler et relever l’équipage de huit personnes tous les deux mois : le Persévérance.

On a besoin de mesures longue durée in situ, on a besoin de s’y installer

« [L’océan Austral, ndlr] C’est une zone très agitée, loin, difficile d’accès, coûteuse et les missions sont essentiellement l’été », nous explique Jean-Louis Etienne. C’est d’ailleurs pour ces raisons climatique que la forme originale du Polar Pod permettra une plus grande sécurité et stabilité à son équipage et la station dans son entièreté. Malgré des expéditions déjà menées dans cette immense étendue d’eau, elle reste relativement méconnue. « La communauté scientifique termine ses publications sur cet océan : on besoin de mesures in situ de longue durée, on a besoin de s’y installer ».

Un « acteur majeur » du climat et de la biodiversité

« [L’océan Austral, ndlr] Il a un rôle majeur, c’est un acteur majeur dans la régulation du climat ». Jean-Louis Etienne s’explique : « à lui seul, il absorbe 50% du gaz carbonique absorbé par les océans dans le monde. C’est une mer très agitée et quand les vagues déferlent, elles emprisonnent de l’air et le CO2 se dissout davantage dans les eaux froides que dans les eaux tempérées ». Voilà pourquoi l’explorateur a souhaité construire un projet d’expédition sur le long terme. « Ce pic de carbone océanique est étudié pendant l’été et ensuite, qu’est-ce qu’il se passe ? ». Et la clé de voute pour ces réponses est bien la stabilité verticale du futur Polar Pod et ses multiples capteurs, qui permettront d’avoir « une idée très précise de l’échange de gaz carbonique entre l’atmosphère et l’océan ».

Grâce à l’absence de propulsion, Polar Pod sera un navire silencieux. L’idéal pour étudier le réservoir de biodiversité que contient cet océan. « On va mettre des hydrophones, des micros sous l’eau, et par une écoute passive, on va faire un inventaire de la faune parce qu’on connaît la signature sonore des espèces ». Une fois encore, la longévité des études est la nouveauté principale de cette expédition qui veut apporter des éléments de réponse complets, mais aussi participer à « des grands projets autour de l’Antarctique pour la création d’aires marines protégées », tel que l’ambitionne Jean-Louis Etienne.