Portrait

Louisette Lévy-Soussan Azzoaglio : 19 ans au service de la Princesse Grace

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Âgée de 88 ans aujourd'hui, Louisette a commencé à travailler avec la Princesse Grace en 1964 lorsqu'elle était enceinte de la Princesse Stéphanie - © Camille Dufosse

À 88 ans, la fondatrice du Crem a accepté de retracer son parcours atypique de vie, de ses premiers pas au CHPG à ses années au Palais princier, en passant par son engagement associatif.

C’est dans un élégant salon du Crem (Club des Résidents Etrangers de Monaco) que Louisette nous a reçus, vêtue comme à son habitude, d’une jolie tenue, relevée cette fois-ci par une veste fuchsia. « J’ai toujours aimé la mode. Et avec mon groupe d’amies, nous nous échangeons souvent des vêtements (rires) donc ce que vous voyez sur moi ne m’appartient pas forcément ! Mais c’est vrai que j’adore les vêtements ».

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C’est donc ici qu’elle passe la plupart de son temps, dans les locaux de cette association qu’elle a créée il y a maintenant 13 ans, en 2010. « J’ai eu l’idée de créer le Crem très jeune, lorsque j’ai commencé à voyager et vivre successivement à Paris, en Suède, puis en Angleterre. En étant étrangère, j’ai pensé à tous les étrangers de Monaco et je me suis demandé comment faisaient-ils pour créer des amitiés. Après la mort de la Princesse, je me suis lancée », se souvient la coquette octogénaire en caressant son adorable chienne Joy.

Une persévérance sans faille

Mais trouver un local à un prix abordable à Monaco n’est pas chose simple. « J’ai pris mon bâton de pèlerin et j’ai cherché pendant quatre ans. Lorsque j’ai parlé de mon projet au Prince Albert, il a pu m’aider avec les frères Barclay. Ces derniers possèdent la résidence Le Mirabeau et nous ont permis d’occuper cet espace sans payer le loyer mais uniquement les charges. »

Pour l’aménagement et la décoration, Louisette s’est rapprochée de la décoratrice Lady Tina Green. « Je lui ai demandé de me faire un petit dessin, pour avoir une idée. Tout ce que je savais, c’est que je voulais un style à l’anglaise, chaleureux. Elle est revenue vers moi avec des propositions et elle m’a aussi permis de faire fabriquer les meubles à prix coûtant, soit la somme tout de même conséquente de 500 000 euros. Nous avons trouvé cinq donateurs qui nous ont offert chacun 100 000 euros pour les financer ». Voilà comment le Crem, qui compte aujourd’hui 500 adhérents, est né.

Si cette organisation tient une place importante dans la vie de Louisette, ce n’est pas la seule association dans laquelle elle est engagée. Elle a en effet créé le Lions Clubs féminin à Monaco et Stardivari, une association pour l’aide aux jeunes violonistes, qui n’existe plus. Elle est également présidente d’Action Innocence Monaco, association qui permet de protéger les enfants des dangers d’internet, et elle a été récemment nommée au nouveau conseil d’administration de la SPA Monaco. C’est d’ailleurs dans ce refuge qu’elle a récupéré sa chère Joy il y a quatre mois. « Je n’ai pas beaucoup de temps libre, sourit Louisette. Quand je ne travaille pas, je suis souvent avec mes enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants ».

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Chaque année l’association Action Innocence récolte des fonds en vendant des arbres de Noël d’exception – © Direction de la Communication / Stéphane Danna

L’opportunité d’une vie

Sa famille a toujours été un pilier pour elle, au même titre que la Famille Princière, sa famille de cœur, avec qui elle a partagé une belle partie de sa vie. Ses parents, d’origine italienne, travaillaient au Palais à l’époque du règne du Prince Louis II. « Mon père était majordome et ma mère était lingère », précise Louisette qui, pour autant, n’était pas prédestinée à travailler dans ce décor féerique.

« Au départ, je voulais intégrer une école d’interprète à Genève, mais mes parents n’avaient pas les moyens financiers pour me payer ces études », relate-t-elle, ayant par conséquent choisi de voyager pour apprendre les langues étrangères. Elle parle ainsi l’espagnol, l’anglais et l’italien. Et à la question : « Vous sentez-vous italienne ? » La réponse est un franc « oui ». « Et plus je vieillis, plus je me sens italienne », ajoute-t-elle. « Je retourne régulièrement en Italie, dans la maison de campagne de mes grands-parents. J’y vais le week-end ou pendant les vacances, à peu près une fois par mois. »

Je me suis évanouie le premier jour où j’ai vu du sang

À son retour, Louisette a côtoyé un temps les bancs de la Faculté de Lettres à Nice, « mais je n’étais pas très assidue », glisse-t-elle dans un éclat de rire. Et comment a-t-elle intégré le CHPG ? « Un copain faisait des études de médecine, alors je me suis intéressée aux études d’infirmière. J’étais entrée comme stagiaire à l’hôpital. À l’époque, on pouvait entrer plus facilement, d’ailleurs je me suis évanouie le premier jour où j’ai vu du sang. »

Et c’est à l’hôpital qu’une première opportunité au Palais s’est présentée. « Quelqu’un est venu me chercher pour me demander si je voulais travailler pour le service du protocole au Palais. Ça ne m’intéressait pas vraiment, mais j’y suis allée pour faire un essai et finalement je suis retournée à l’hôpital. Peu de temps après, on est revenu me demander si je voulais travailler pour l’attaché de presse, qui s’appelait Émile Cornet. J’ai accepté et nous avons dû créer un service presse à l’occasion de la naissance du premier enfant du Prince Rainier III et de la Princesse Grace : la Princesse Caroline. »

La secrétaire de la Princesse Grace s’en va, et la Princesse cherche une secrétaire

Quand la Princesse est née, nouveau retour à l’hôpital pour la jeune Louisette. Et comme le dit l’adage « jamais deux sans trois », Louisette est repartie une troisième et ultime fois travailler au Palais, pour le Chef du Cabinet du Prince. « J’ai collaboré avec lui quelques années jusqu’à l’arrivée d’un Américain, monsieur Dale, qui m’a dit un jour : « la secrétaire de la Princesse Grace s’en va, et la Princesse cherche une secrétaire. En attendant qu’elle trouve une secrétaire anglaise, vous allez la remplacer ». C’était provisoire, même si je parlais anglais. »

« La Princesse a changé ma vie »

Louisette très impressionnée, l’était d’autant plus lorsque, au bout d’un mois, la Princesse Grace a souhaité la garder à ses côtés, finalement pendant 19 ans, jusqu’à sa disparition. « C’était une époque intéressante, de découverte, de contact humain. La Princesse Grace représentait la vie, l’intelligence, la curiosité intellectuelle et artistique. C’est une personnalité comme vous en rencontrez peu dans votre vie. La Princesse a changé ma vie. J’avais une telle admiration pour elle, c’est une personne hors du commun. D’ailleurs on surnomme le Prince, « le Prince Bâtisseur », mais la Princesse a elle aussi bâti son empire. »

Louisette était l’une des premières témoins de la notoriété que l’ancienne actrice avait acquise à Hollywood et qui continuait de se solidifier à Monaco. « Dans le courrier qu’elle recevait, il y avait de tout : des demandes de photos, de renseignements, des correspondances, et des lettres de toutes les personnes qui lui demandaient des services et celles qui l’admiraient. Elle avait beaucoup de fans. À chaque anniversaire elle recevait des tas de lettres. Elle était très exposée médiatiquement, d’ailleurs, sa cérémonie de mariage a été la première cérémonie de mariage Princier à être filmée et diffusée. »

Quand la Princesse fut victime de l’accident qui lui coûta la vie, Louisette était en Hollande, en vacances. Elle se souvient avoir appris la nouvelle par la télévision. « J’ai tout de suite appelé le Palais et je suis immédiatement rentrée. Malheureusement, c’était déjà trop tard. Vous savez, elle voulait qu’on se rappelle d’elle comme une personne ordinaire, mais moi, je la croyais immortelle. Elle avait été tellement humaine avec moi. » L’émotion est encore présente aujourd’hui.

Louisette se souvient d’ailleurs de cette faveur que la Princesse lui a accordée lors des cinq années où elle vivait à Paris avec elle : « quand j’ai perdu mon mari, tragiquement, nous étions dans la capitale avec la Princesse. Je ne savais plus où j’en étais, et la Princesse a accepté que je parte quelques mois travailler à Londres. Lorsque je suis revenue, elle m’a reprise. Tous les patrons ne feraient pas cela. Je suis encore reconnaissante maintenant de la vie qu’elle m’a donnée. »

Après ses années aux côtés de la Princesse, Louisette a travaillé pour le Prince Albert, alors encore Prince Héréditaire. « Quand la Princesse est morte, je suis restée au Palais pour ranger et archiver tous ses documents, puis j’ai été chargée de créer le secrétariat du futur Prince qui était à New York pour ses études. J’ai travaillé jusqu’au moment où il a régné. »

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Louisette Lévy-Soussan Azzoaglio s’est mariée trois fois et a eu deux garçons – © Philippe Fitte

Le Souverain permet d’ailleurs, encore aujourd’hui à Louisette de travailler au Palais en lui consacrant un bureau pour ses activités caritatives. « J’ai beaucoup d’affection pour toute la Famille Princière. J’ai vu les enfants naître. J’ai eu des rapports d’estime et d’affection que je n’oublierai jamais. Combiner travail et cela, c’est le rêve d’une vie », confie l’hyperactive qui, elle le reconnaît, est tout de même moins présente aux événements rythmant la vie monégasque avec l’âge.

« Désormais le soir, c’est musique, livre et dodo ». Parce que Louisette « adore » la musique classique, « je suis sur Radio Classique toute la journée », livre celle qui a suivi des cours de piano étant petite et qui a poursuivi son apprentissage une fois adulte aux côtés de la grande Nadia Boulanger, à qui elle rendait visite, lorsqu’elle était à Paris, dans son appartement devenu mythique par les grands artistes qu’elle a reçus.

Quand Louisette raconte son histoire, c’est toujours le même émoi : « les gens me disent « quelle chance vous avez eue ! » C’est comme lorsque l’on dit qu’on habite Monaco, cela attise beaucoup de curiosité et de fascination, à juste titre d’ailleurs car Monaco est un petit paradis. Je me sens chez moi ici, où que je sois ».