Monaco sur Arte : l’histoire sans fard de sept siècles de métamorphose

De l’essor du Casino à l’avènement du Prince Albert II, en passant par le règne du Prince bâtisseur Rainier III, Arte consacre trois épisodes à l’histoire de Monaco.
En trois volets d’une heure, Arte propose une relecture historique de la Principauté de Monaco. Réalisé par Frédéric Compain et narré par l’actrice Anne Consigny, le documentaire « Monaco, la grande histoire d’un micro-État » retrace l’évolution d’un territoire qui, en sept siècles, a su transformer sa vulnérabilité géographique en atout économique et diplomatique.
Les origines d’une mutation
Le premier volet plonge le spectateur dans les fondations du Monaco moderne. Au XIIIe siècle, les Grimaldi, famille génoise portée par la figure de « Malizia » (François Grimaldi) développent progressivement leur puissance commerciale grâce à un système de taxation des navires marchands. Le village côtier traverse ensuite les épisodes historiques européens et français, la Révolution française, le Traité de Vienne, l’influence de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie.
Mais au milieu du XIXe siècle que s’opère un véritable tournant, dont l’arrivée du chemin de fer en 1868 et la fondation de la Société des bains de mer (SBM) par le Prince Charles III constituent le point de bascule. François Blanc, entrepreneur à la tête de cette société, bâtit alors Monte-Carlo autour du casino, profitant de l’interdiction des jeux dans une grande partie de l’Europe. Le documentaire montre comment cette société privée structure l’ensemble du territoire : construction, éclairage, transports. « C’est à l’époque un État dans l’État », résume l’historien Pierre Abramovici.

La série n’élude pas les contrastes sociaux de cette période. À Beausoleil et Cap d’Ail, communes limitrophes où s’entassent les ouvriers italiens, et dans le village côtier historique, la pauvreté tranche avec le luxe de Monte-Carlo. La suppression de l’impôt sur le revenu en 1868 transforme progressivement Monaco en « marque florissante gérée comme une grande entreprise », explique la voix off. Les chiffres illustrent cette mutation : « de 138 000 visiteurs en 1870, la Principauté passe à un million et demi en 1904. » L’année 1911 représente l’acte fondateur du Monaco moderne, puisque la Principauté se dote alors d’une Constitution.


Les années troubles
Le deuxième volet aborde ensuite les périodes les plus troubles du XXe siècle et s’arrête sur quelques moments marquants commentés par les historiens, à l’instar de Yvan Gastaud et Thomas Fouilleron, directeur des Archives et de la Bibliothèque du Palais Princier ou encore du démographe Jérôme Tourbeaux. Après la Première Guerre mondiale, la Société des Bains de Mer croule sous les dettes tandis que la révolte gronde. En 1928, des manifestants opposés au Prince Louis II prennent d’assaut le Palais. La France profite de cette fragilité pour imposer un nouvel accord : chaque Premier ministre sera désormais français, de même que toute l’administration.


En 1934, une loi autorise la création de holdings, ces sociétés dirigées par des prête-noms. Durant l’Occupation, l’Allemagne nazie exploite ce dispositif pour faire transiter les mannes de la spoliation. Le documentaire évoque les rafles de juifs et les relations entre le Prince Louis II et le Maréchal Pétain. Dans les images d’archives le Prince Albert II apparaît comme le premier des Grimaldi à évoquer publiquement ce « passé douloureux ».
La libération de Monaco intervient en septembre 1944, après des combats qui laissent la ville en ruine. Cette période jette les bases du statut fiscal monégasque d’après-guerre.

L’ère Rainier III et l’américanisation
Volet historique important de l’histoire de Monaco, le troisième épisode se concentre sur le règne du Prince bâtisseur Rainier III, débuté en 1949. Face caméra, Jean Michel Manzone, ancien directeur de l’urbanisme, et Mireille Merlot, Monégasque, témoignent de cette transformation.
Le mariage avec Grace Kelly en 1956 vient accentuer le changement de dimension de Monaco. L’actrice américaine, devenue Princesse Grace, modernise l’image de la Principauté selon les codes hollywoodiens, dans l’objectif affiché de séduire les investisseurs étrangers. Le documentaire examine aussi les liens entre Aristote Onassis, la SBM et le pouvoir princier. La visite du général de Gaulle en 1960 illustre les tensions diplomatiques que suscite cette stratégie d’ouverture, perçue comme une forme d’affranchissement vis-à-vis de la France.
Les Trente Glorieuses couvrent le Rocher de béton et le prix au mètre carré devient le plus élevé au monde. L’extension territoriale sous le Prince Rainier III est spectaculaire : de 150 à 208 hectares gagnés sur la mer.

Les défis du XXIe siècle
Le documentaire termine son historique en s’attardant sur les vingt-cinq dernières années et les défis récents qui occupent la Principauté sous le règne du Prince Albert II : emploi, mobilité transfrontalière, immobilier et construction durable. Avec le dernier sujet d’actualité en date. En 2000, un premier rapport volumineux sur le blanchiment et l’évasion fiscale, publié par l’Assemblée nationale française, secoue la Principauté. Vincent Peillon, président de la mission d’information, parle d’un « paradis fiscal bancaire et judiciaire ».
Le documentaire rappelle qu’en juin 2025, Monaco a été placée par la Commission européenne sur la liste des pays « à haut risque » concernant le blanchiment d’argent, faisant suite à l’inscription de la principauté sur la « liste grise » du Groupe d’action financière (GAFI) en 2024.
Riche en archives, témoignages d’historiens et de personnalités locales, la série s’ouvre sur la voix de Sacha Guitry posant la question de la dualité monégasque. Frédéric Compain livre un travail documenté qui évite l’hagiographie et dépasse les clichés. Le documentaire révèle comment la dynastie Grimaldi, régnante depuis sept siècles, a surmonté les crises successives pour bâtir un Monaco moderne, désormais tourné vers les défis du XXIe siècle.
Documentaire visible sur la chaîne YouTube d’Arte :