« Une épave peut devenir un havre de paix » : Pierre Frolla nous plonge dans les abysses de son dernier livre photo avec Franck Seguin
Présent à la 36ème édition des Sportel Awards, l’apnéiste monégasque Pierre Frolla s’est confié à Monaco Tribune, à l’occasion de la sortie du livre Abyss, co-réalisé avec le photographe Franck Seguin et paru aux éditions Ramsay.
Détenteur de quatre records du monde en apnée, Pierre Frolla explore depuis des années les profondeurs sous-marines. Revenu spécialement de Tahiti, l’homme était invité à présenter sous la verrière du Grimaldi Forum de Monaco son nouvel ouvrage d’art. Un aperçu de l’expédition Secrets engloutis, l’ayant mené avec Franck Seguin à parcourir la mer des Bahamas, les fonds de Jordanie ou encore la Méditerranée pour aller observer des épaves incroyables, accessibles en apnée.
Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à vous lancer dans l’écriture de ce livre ?
La motivation vient de Franck Seguin, que j’ai rencontré en 2002. Il était alors rédacteur en chef de L’Équipe Magazine. Lorsqu’il est venu chez moi pour faire un reportage, j’ai réalisé qu’il ne savait pas plonger. Je lui ait dit qu’on prendrait des photos mais qu’on ferait d’abord de lui un plongeur. Notre amitié a démarré à cet instant. Il m’a contacté l’année dernière en me disant qu’il avait un projet de livre de photos d’art en noir et blanc, qui proposerait de suivre un apnéiste dans les épaves profondes des Bahamas, de la Méditerranée (à Monaco et en Corse), et de la mer Rouge. J’ai accepté sans hésiter !

Que retenez-vous de ces expériences nouvelles pour vous ?
Il y a beaucoup d’épaves hallucinantes à travers le monde. Plusieurs dans des lieux où la biodiversité est détériorée par les humains. Nous avons en revanche pu explorer des endroits uniques où les épaves immergées ont été transformées en récifs artificiels. Dans ces zones complètement dépeuplées et vidées de leur biodiversité d’origine, ces structures ont permis de relancer justement la biodiversité. Une épave au fond de la mer peut devenir un havre de paix, depuis la naissance du corail, jusqu’aux abris pour les poissons en passant par l’écloserie en aquaculture au nourrissage, et ainsi de suite. Les épaves sont fascinantes. Ce sont comme des êtres vivants, qui ont sombré, qui sont morts et qui ont une deuxième vie. Une vie qu’elles offrent à d’autres.
Comment se comportent les créatures des profondeurs au contact de l’être humain ? Quel est votre souvenir le plus marquant ?
Il y a des animaux curieux et audacieux qui vont s’approcher et puis il y a ceux, plus peureux, qui vont rester loin ou s’enfuir. Tout dépend aussi de l’expérience qu’ils ont eue avec les humains.
Deux souvenirs m’ont particulièrement marqués. J’ai offert l’opportunité à une petite fille de 10 ans de nager avec des baleines. Nous avons été séparés par un baleineau qui s’est mis entre nous deux. Cet animal de près de quatre tonnes et quatre mètres de long a fait preuve d’énormément de douceur pour me permettre de récupérer cette petite fille d’un mètre quarante et de 35 kilos sans la blesser. Le second grand moment, c’est ma toute première rencontre avec les requins blancs en apnée sans cage, qui a généré chez moi la fin d’une crainte et d’une frayeur intestine qui m’a vraiment permis vraiment de grandir définitivement.
Vous détenez quatre records du monde. Comment parvient-on à réaliser de tels exploits ?
Je suis très travailleur. Je m’entrainais cinq à six heures par jour, cinq à six fois par semaine, et je partais toujours du principe que s’il fallait faire 100 mètres, je me préparais à faire 110. Il fallait toujours avoir énormément de marge et je n’étais jamais rassasié. Ce que j’aimais dans la réalisation d’un objectif, c’était l’investissement à l’entraînement.
Quel sentiment vous habite lorsque vous descendez aussi profond dans l’eau ? De l’appréhension ? De la peur ?
De la peur, non. Dans cette activité, on risque de mourir et de disparaître. Il n’y a pas vraiment de peur, il n’y a pas de juste milieu. Soit on remonte et c’est gagné, soit on perd, on force, on échoue et on meurt, et peut être même qu’on ne retrouvera pas son corps. Ça nécessite tellement d’engagement qu’il faut être égocentrique, très égoïste. Il n’y a pas de place pour le doute. Il faut vraiment avoir une approche très particulière de la discipline, de la pratique et de la performance et mettre complètement de côté la crainte et la peur, autrement c’est l’échec. Il faut parfois être prétentieux pour se persuader que l’on est meilleur que ce que l’on croit, et meilleur dans la performance à réaliser pour être capable de s’engager.
Que représente Monaco à vos yeux ?
Monaco est un endroit remarquable, et je ne dis pas cela parce que je suis Monégasque, mais c’est une ville latine avec une essence ligurienne particulière. On y trouve tout. On peut être dans l’eau et à la montagne en très haute altitude en très peu de temps. On peut y côtoyer des gens d’une simplicité incommensurable, avec des gens qui évoluent dans les plus hautes sphères de la société dans la même journée. On y parle plusieurs langues. De dos à la ville on peut contempler un horizon sans limite, tandis qu’on peut s’immerger au coeur de la vie urbaine.
Pourquoi les Sportel Awards sont-ils si spéciaux ?
Les Sportel Awards ont vu le jour au début de ma carrière sportive. J’ai été membre du jury très tôt. J’y suis invité pratiquement chaque année. C’est un lieu de rencontres pour les médias et les sportifs. Ils permettent à ces derniers de garder un lien avec leur public. Il y a des échanges entre plusieurs générations. Certains croisent leurs idoles. C’est extraordinaire ! Il y a une proximité, une facilité de communication dans cet organisme, menée de main de maître par une équipe de professionnels tout au long de l’année. Je souhaite vraiment longue vie à cet événement.











