« Le beau fait venir, le bon fait revenir » : Cédric Grolet offre une parenthèse sucrée à Monaco

Le célèbre pâtissier français inaugure sa nouvelle boutique à l’Hôtel de Paris Monte-Carlo. Entre inspiration locale et créations visuelles, il nous livre sa vision de la pâtisserie moderne.
Du praliné cacahuète au fraisier revisité à la pâte d’amande, en passant par l’iconique croissant légèrement croustillant : les délices sucrés du pâtissier Cédric Grolet s’invitent à Monaco ! Ce mercredi, le maître incontesté du trompe-l’œil, des viennoiseries et des desserts colorés « à la sauce Instagram » ouvre les portes de son nouvel écrin au cœur de l’Hôtel de Paris. Fruit d’une collaboration étroite avec la Société des Bains de Mer (SBM), ce partenariat incarne le renouveau de la gastronomie monégasque, avec l’ambition d’attirer une clientèle plus jeune et connectée.

Le président de la SBM, Stéphane Valeri, a donné carte blanche au chef de 38 ans pour investir le patio de l’Hôtel de Paris. Loin d’être une simple déclinaison de ses boutiques parisiennes ou londoniennes, ce projet a nécessité près d’un an et demi de travail avant de voir le jour. Chaque détail a été pensé pour s’intégrer à l’esprit du lieu : en plus d’une boutique au design épuré et à la lumière douce, Cédric Grolet et son équipe ont imaginé un salon de thé en terrasse — ouvert tous les jours de 8 h à 19 h, puis du mercredi au dimanche à partir du mois d’octobre. Les pâtisseries et viennoiseries figureront également à la carte des restaurants, des chambres et des banquets de l’Hôtel de Paris.
Monaco Tribune : Pourquoi avez-vous choisi Monaco pour votre nouvelle boutique ? Qu’est-ce que la Principauté vous inspire en tant que pâtissier ?
Cédric Grolet : Chaque boutique que nous ouvrons possède sa propre identité visuelle, adaptée au lieu qui l’accueille. Vous avez remarqué les matériaux de qualité et la pierre omniprésente ici ? C’est évidemment un clin d’œil au Rocher de Monaco et à son atmosphère de prestige.
Ensuite, les agrumes de la région, notamment ceux de Menton, m’ont immédiatement séduit. Nous avons naturellement inscrit à la carte mon dessert phare : le citron en trompe-l’œil, réalisé avec les citrons de Menton et une pointe de citron caviar. J’ai également eu la chance de dîner avec le Prince Albert II et de connaître ses goûts en matière de desserts. Mes recherches préliminaires aboutissaient à quelque chose de complètement différent de ce qu’il appréciait réellement ! Il m’a confié raffoler de la pâte d’amande. Lorsque j’ai débuté en pâtisserie, j’ai appris à maîtriser les classiques français comme le fraisier. J’ai donc revisité ma recette en y intégrant de la pâte d’amande.
Si Monaco était un dessert, lequel serait-il ?
J’aimerais beaucoup créer un rocher en trompe-l’œil. Nous y travaillons depuis quelque temps ; ce n’est pas encore validé, mais nous en utilisons déjà tous les codes symboliques. Pour notre premier dessert créé ici, le fraisier, nous avons voulu reprendre les couleurs rouge et blanc du drapeau monégasque.
Le climat méditerranéen est bien différent de celui des grandes villes comme Paris ou Londres, plus chaud et plus humide. Cela a-t-il nécessité une adaptation de votre part ?
Les pâtisseries ne sont pas faites pour être transportées longtemps sous une forte chaleur, surtout lorsqu’elles ne contiennent pas beaucoup de sucre ou de beurre pour assurer leur tenue. Un peu comme une glace : une pâtisserie se déguste rapidement, dès la sortie du froid (rires). En revanche, l’humidité est l’ennemie des pâtes à viennoiseries. Un croissant laissé à l’air libre quelques dizaines de minutes s’imprègne d’humidité et devient moelleux, presque brioché, alors que je le préfère bien croustillant. C’est une contrainte que nous avons apprise à gérer dans notre boutique à Singapour, où le taux d’humidité est bien plus élevé qu’ici. Là-bas, nous enfournons des croissants toutes les 30 minutes pour garantir le croustillant.

Après dix ans d’expérience, quelle approche adoptez-vous pour satisfaire votre clientèle ?
L’expérience m’a appris une leçon essentielle : à chaque ouverture, nous voulions créer quelque chose qui représente le lieu, le pays, les traditions locales. Mais en écoutant vraiment nos clients — car je suis très attentif aux statistiques de vente —, nous nous sommes rendu compte qu’ils réclamaient avant tout nos grands classiques. La fleur vanille, le citron, les croissants, l’éponge chocolat… Tout ce que nous proposons aujourd’hui pour l’ouverture, ce sont les créations qui fonctionnent le mieux dans toutes nos boutiques. Créer pour créer, si cela ne plaît pas aux gens, n’a aucun intérêt — ni pour eux, ni pour nous.

Comment gérez-vous votre présence sur les réseaux sociaux, devenue cruciale dans votre succès ?
Quand j’ai commencé, il y a une dizaine d’années, mon premier post sur Instagram a récolté 3 500 « j’aime », alors qu’en tant que pâtissier, nous étions habitués à cent ou deux cents réactions maximum. J’avais 28 ans, et j’étais complètement choqué de voir autant de gens apprécier mon travail sans même me connaître. C’est là que j’ai compris qu’il fallait travailler avec les nouvelles plateformes. Aujourd’hui, nous avons sept comptes Instagram et TikTok. Seul, je n’y arriverais pas — j’ai donc recruté des équipes spécialisées !
L’aspect visuel est-il devenu indissociable de l’expérience pâtissière moderne ?
En réalité, cela a toujours fait partie de mon approche, bien avant les réseaux sociaux. J’ai été élevé par mes grands-parents : l’un était artiste peintre et sculpteur, un peu incompris de la famille ; l’autre, très strict, travaillait en cuisine. Je pense avoir allié les deux. Je suis attiré par les couleurs, les formes, l’architecture. J’accorde autant d’amour à concevoir une boutique qu’à créer un gâteau. Mais le goût n’est jamais sacrifié. Je répète souvent que « le beau fait venir, mais le bon fait revenir ». C’est exactement ce qui se passe dans les relations humaines, comme avec mes clients.

Votre approche du trompe-l’œil fait-elle école ? N’y a-t-il pas un risque de saturation ?
Nous faisons des trompe-l’œil depuis plus de dix ans, et cela fait seulement six mois à un an que des boutiques entièrement dédiées à cette technique voient le jour. Nous n’en sommes qu’aux débuts ! Cette approche répond à une demande croissante : il y a de plus en plus de personnes qui n’aiment pas le gluten ou qui préfèrent des gâteaux très peu sucrés. Le trompe-l’œil s’y prête parfaitement. J’évite par exemple volontairement les biscuits à l’intérieur de mes créations, pour répondre à ces attentes.

Quel message souhaitez-vous transmettre à travers vos créations ?
J’aime créer des desserts très intenses, très puissants, sans trop mélanger les saveurs, pour que les gens les comprennent immédiatement. Quand je fais un dessert au citron, ce n’est pas simplement un dessert au citron : je vais chercher le meilleur citron du monde, avec le minimum de sucre, et l’assaisonnement qui fera la différence. Dans chaque création, j’essaie de pousser l’excellence. Prenez notre pêche en trompe-l’œil : je sélectionne des pêches à différents stades de maturité pour capturer l’essence même du fruit, avec des recettes créées spécialement pour qu’il n’y ait que du fruit, sans biscuit, afin que le trompe-l’œil soit parfait — visuellement et gustativement.

Vous dirigez aujourd’hui un groupe de 600 collaborateurs. Comment maintenez-vous la qualité sur tous vos sites ?
Chaque boutique a son propre chef et son laboratoire sur place — c’est un modèle complètement différent de celui de mes confrères. Je n’ai pas de laboratoire central qui alimente cinq boutiques, mais une vraie équipe pour chaque lieu : un chef, un sous-chef, un chef de partie, un commis. Ici à Monaco, c’est Vincent Puma qui dirige. C’est mon ancien apprenti, avec qui je travaille depuis quinze ans. Il était chef au Meurice ces trois dernières années et rêvait de retourner dans le Sud. Quand nous avons repris l’Hôtel de Paris, cela a été une évidence. Sans cette confiance mutuelle construite sur la durée avec mes équipes, rien ne tiendrait. D’ailleurs, c’est Alain Ducasse qui nous a fait confiance et m’a présenté la SBM. Je travaille à ses côtés depuis onze ans — avec nos trente années de différence, c’est un peu comme un père pour moi.




