À 32 ans, Marie Ducruet vit la maternité comme un moteur entrepreneurial
Marie Ducruet a créé cette année son agence Imagine & Make et co-fondé Little Wonders, un espace de jeux pour enfants. À 32 ans, elle incarne cette nouvelle génération d’entrepreneurs monégasques qui veulent répondre aux besoins de la population locale. Entretien.
Monaco Tribune : Votre année 2025 est déjà bien remplie : vous revenez d’un déplacement en juin à Osaka avec votre mari, Louis Ducruet, et des membres de la Famille Princière – à l’occasion d’un déplacement des Barbagiuans au Japon – vous avez créé votre agence Imagine & Make et lancé Little Wonders avec Élise Bouillard… tout ça alors que vous venez d’être maman d’une deuxième petite fille née fin 2024. Pourquoi ce choix de l’entrepreneuriat ?
Marie Ducruet : J’ai débuté ma vie professionnelle à Monaco en 2015 quand j’ai été engagée en tant que stagiaire marketing à la Société des Bains de Mer (SBM). Puis j’ai gravi les échelons, en travaillant à l’Hermitage pour les banquets et conventions, ensuite dans les casinos, jusqu’à devenir responsable marketing évènementiel pour tout l’activité resort.
Cette progression m’a permis de découvrir ma véritable passion : la création événementielle. Comme beaucoup, je me posais la question de lancer ma propre activité pour avoir la liberté de choisir mes clients et de gérer mon emploi du temps comme je l’entends. Mais organiser et coordonner la réception d’évènements est très différent de créer des évènements pour fidéliser des clients, tout en inventant et en remplissant des objectifs financiers.
La naissance de ma deuxième fille, Constance, a été le déclic pour franchir le pas et créer Imagine & Make. Pas seulement pour concilier vie familiale et professionnelle, mais surtout pour avoir cette liberté créative que j’avais envie d’exploiter pleinement. Je passe mes soirées à concevoir des événements, à développer des concepts visuels. Cette énergie, je voulais la canaliser dans mes propres projets.

Le marché de l’événementiel est déjà très développé à Monaco. Comment comptez-vous vous démarquer avec Imagine & Make ?
Il y a effectivement beaucoup d’agences événementielles à Monaco, mais c’est révélateur d’une demande importante. Mon positionnement est clair : développer des relations de confiance sur le long terme avec une approche créative mais accessible financièrement. Je ne vise pas l’ultra-haut de gamme, mais une clientèle qui recherche de l’inventivité sans prix déraisonnables.
Ma spécialisation dans l’événementiel privé – baptêmes, mariages, anniversaires – me permet de proposer cette ultra-personnalisation qui fait la différence. Avec les réseaux sociaux et Internet, les clients ont accès à ce qui se fait dans le monde entier. La personnalisation n’est plus un extra, elle devient une obligation.
Comment analysez-vous l’évolution du secteur événementiel post-Covid ?
Le changement majeur, c’est la gestion du temps. Avant le Covid, les clients prenaient des mois, voire des années d’avance pour organiser leurs événements. Maintenant, tout arrive en dernière minute. Cela crée une pression supplémentaire constante, on est toujours dans la course. Pour quelqu’un qui aime travailler sous pression comme moi, c’est stimulant, mais cela demande une réorganisation complète des méthodes de travail et une réactivité permanente.
L’intelligence artificielle est-elle une aide ou au contraire menace-t-elle votre métier ?
L’IA peut être un outil intéressant pour développer des idées, benchmarker ce qui se fait ailleurs, gagner du temps sur les tâches administratives, optimiser les coûts. Mais elle ne remplacera jamais l’opérationnel. L’événementiel, c’est du management transversal d’équipes dispersées : catering, décoration, réservations, logistique… Et surtout, elle ne peut pas reproduire la dimension humaine du contact client, cette capacité à comprendre leurs attentes émotionnelles et à les traduire en concepts concrets.
Parlez-nous de votre deuxième projet, Little Wonders, qui semble très différent d’Imagine & Make.
C’est un projet que je porte avec mon associée Elise Bouillard, une amie qui a aussi deux enfants du même âge que les miens. On rêvait de créer une sorte de café-poussette, un indoor playground comme on en voit ailleurs, à Dubaï, Paris ou New York. Ce concept pour les parents d’enfants de 0 à 7 ans répond à une demande réelle. Monaco excelle pour les activités extérieures, mais manque d’offres intérieures de qualité quand les conditions météo ne s’y prêtent pas.
Nous avons répondu à un appel à candidatures de la résidence Hemera pour un local de 230 mètres carrés à la Condamine. L’emplacement géographique était idéal : quartier familial, accessibilité piétonne, parkings à proximité. L’investissement est important, mais Monaco offre des dispositifs d’aide à la création d’entreprise non négligeables pour les résidents. Nous visons une ouverture mi-janvier 2026.

Ces deux projets professionnels semblent intimement liés à votre vision de Monaco et à vos valeurs personnelles…
Absolument ! Avec Little Wonders, on prévoit un espace anniversaire, donc naturellement l’agence pourrait intervenir pour les décorations ou animations. Mais plus largement, ces projets reflètent ma recherche d’équilibre entre ma passion pour l’événementiel et mon côté maman. Ils correspondent à ma vision de l’entrepreneuriat : créer de la valeur pour la population locale, pas seulement pour une clientèle de passage.
Ce qui m’importe vraiment, c’est l’accessibilité. Monaco a raison de cultiver son image haut de gamme, c’est un atout économique majeur. Mais il y a une population qui travaille normalement, qui ne peut pas se payer des vacances de folie ou des voitures de luxe. Ces gens méritent aussi une offre adaptée à leurs moyens. L’image « bling-bling » ne doit pas occulter cette réalité sociale.
N’est-ce pas trop difficile de jongler entre ce quotidien d’entrepreneuse et votre vie de famille ?
Le matin je m’occupe des filles, puis je pars travailler, je les récupère ensuite pour notre moment en famille, et je retourne bosser le soir dans mon bureau. Louis subit peut-être le plus cette organisation (rires) parce que nos soirées à nous deux sont parfois écornées ! Mais comme il se lance aussi sur plusieurs projets de son côté, on a trouvé notre équilibre. On se retrouve même à travailler ensemble le soir, chacun sur nos projets. C’est aussi mon meilleur ami et mon confident, on partage tout et on se donne mutuellement des conseils et nos avis. Ce soutien moral est vital.
Quel conseil donneriez-vous aux jeunes Monégasques tentés par l’entrepreneuriat ?
D’abord, de ne pas avoir peur. J’ai mis plusieurs années avant de franchir le pas, par prudence peut être excessive. À Monaco, nous avons un écosystème favorable : aides publiques consistantes, marché du travail dynamique qui permet de rebondir en cas d’échec.
Le plus dur, c’est de passer du salariat – où quoi qu’il arrive, on touche son salaire en fin de mois – à l’entrepreneuriat où les premiers mois, on ne gagne rien. Mais c’est aussi une motivation supplémentaire pour se dépasser.









