Benoîte Rousseau de Sevelinges : « A Monaco, nous avons un système de santé exemplaire, mais nous pouvons faire mieux »
Directeur du Centre Hospitalier Princesse Grace depuis cinq ans, Benoîte Rousseau de Sevelinges gère les 2 700 personnes qui composent le personnel hospitalier et affronte de grands défis, tels que le nouvel hôpital. Rencontre.
« Je ne suis pas ici par hasard. » Dans son bureau du Centre Hospitalier Princesse Grace, Benoîte Rousseau de Sevelinges, 41 ans, sourit en évoquant son impressionnant parcours qui l’a conduite, en 2018, à prendre la tête de l’hôpital.
« Après ma scolarité à Monaco, j’ai fait des études de Droit, puis Sciences Po Bordeaux. Contrairement à ce que l’on croit, il ne faut pas être médecin pour être Directeur d’hôpital. La voie royale, c’est Sciences Po », explique-t-elle.
Et bien qu’elle n’ait pas immédiatement envisagé de travailler dans le secteur médical, la sphère hospitalière n’était pas loin : « il y a trois générations d’infirmières derrière moi, ça influence et ça enlève l’appréhension du milieu hospitalier. L’hôpital est un monde qui me parle. »
Encouragée par Denis Ravera, Conseiller de Gouvernement-Ministre des Affaires Sociales et de la Santé de l’époque, elle poursuit son cursus à l’école des Hautes Études en Santé Publique à Rennes et à la Pitié Salpêtrière, avant de revenir en terres monégasques en 2009 et de prendre la Direction des ressources matérielles du CHPG.
Très vite, les responsabilités s’enchaînent : ouverture de la résidence A Qietüdine, restructuration du bloc C du bâtiment Tamaris, gestion du Centre Rainier III et de la DSIO (Direction des systèmes d’information et de l’organisation) lors du piratage informatique de 2016… Benoîte Rousseau de Sevelinges travaille sur différents projets d’envergure, avant de devenir le bras droit de l’ancien Directeur du CHPG, Patrick Bini, qui la forme à cette fonction.
« C’est venu petit à petit, ce n’était pas une ambition à la base, confie-t-elle. C’est une énorme responsabilité : on est responsable des actions des 2 700 personnes qui travaillent à l’hôpital quotidiennement. » Et pour cause : le CHPG endosse un rôle très particulier, en tant que seul établissement hospitalier de la Principauté et qui accueille, des mots de son Directeur, un public aussi varié que sensible. « J’avais tout de même deux gros atouts, poursuit-elle. Je connaissais très bien mon équipe – et la confiance, ça aide – et je connaissais parfaitement l’ensemble des dossiers à traiter. Les prises de décisions sont donc plus faciles. »
Le nouvel hôpital : un vaisseau amiral
Parmi ces dossiers, le plus gros défi de sa carrière : le nouvel hôpital. Si le projet médical a été stabilisé en 2010, la livraison complète n’est prévue qu’en 2032, avec une première phase pour 2026. « Il se sera passé 22 longues années entretemps, souffle Benoîte Rousseau de Sevelinges. Les travaux ont commencé en 2015 et pour l’instant, le personnel, les riverains et les patients n’ont vu que les nuisances. (…) Le nouvel hôpital est un défi permanent. A la fois technique, parce que, dans un chantier d’une telle ampleur, il y a des aléas et il faut faire avec ; organisationnel, parce qu’il va falloir mettre à jour nos process et revoir nos organisations ; et humain, parce qu’il faut garder les équipes mobilisées pendant tout ce temps, trouver les bons interlocuteurs, capitaliser sur l’expertise et l’expérience des plus anciens et s’enrichir de la vision des plus jeunes, qui sont ceux qui y travailleront. »
Le CHPG opère une vaste transformation qui aboutira à l’horizon 2032 avec l’objectif d’agrandir et moderniser l’établissement pour augmenter sa capacité d’accueil et s’adapter en permanence aux progrès de la médecin – © AIA Associés
Autre paramètre à prendre en compte pour le Directeur et ses équipes : l’évolution des soins et des besoins de santé. « On doit revoir le programme, parce qu’entre 2010 et 2023, il y a eu le Covid, mais pas que ! On a vu aussi apparaître les robots chirurgicaux, les salles hybrides, les raccourcissements des durées de séjour etc. (…) C’est quasiment la boule de cristal : on dit qu’un hôpital est là pour 50 à 80 ans. Que sera la médecine d’ici là ? Quelles seront les attentes des patients ? Cela fait 13 ans que je suis sur le projet, j’ai l’historique des décisions prises, mais il y en a encore beaucoup à prendre. »
Et parmi les décisions déjà actées, en vue du nouvel hôpital : le nouveau service d’urgences inauguré en ce mois d’avril par le Prince Albert II, le Conseiller de Gouvernement-Ministre des Affaires Sociales et de la Santé Christophe Robino, la Vice-Présidente du Conseil d’Administration Caroline Rougaignon Vernin et le Président de l’AS Monaco Dmitri Rybolovlev, qui a entièrement financé ce projet. « Monsieur Rybolovlev. a une formation de médecin urgentiste. Il souhaitait faire un don au CHPG. On a eu un échange pour connaître ses sensibilités et je lui ai proposé ce projet. »
« C’est typiquement ce que j’espère voir se concrétiser pour toutes les organisations. Le premier atout est humain : on va réunir deux équipes qui pouvaient se sentir isolées. Maintenant, elles vont être ensemble. Cela compte énormément quand on est médecin urgentiste et qu’on voit un enfant ou un adulte arriver pour une pathologie grave : être à deux, pour réfléchir et faire les soins, c’est forcément rassurant et ça permet de travailler dans de meilleures conditions. Ça nous permet aussi, en mutualisant les besoins, d’avoir un accueil 24h/24. Avant, quand on arrivait la nuit, on avait une sonnette. Aujourd’hui, on a une personne, c’est plus rassurant pour les patients », explique le Directeur.
J’espère que le nouvel hôpital sera performant sur le plan de l’organisation, mais qu’il sera surtout accueillant pour les patients comme pour le personnel
Autre bénéfice : améliorer la lisibilité pour les patients. « Les parents qui amenaient leur enfant ne savaient pas s’il fallait l’amener du côté pédiatrique ou adulte. Ça n’a pas l’air de grand-chose, mais ce sont dix minutes qui vont mettre les parents dans un état d’anxiété, qui vont leur faire très mal vivre la prise en charge, et si papa et maman sont anxieux, l’enfant est anxieux. La relation soignant/soigné derrière était forcément compliquée. (…) Et puis, dans les deux services, on ne pouvait physiquement pas faire les admissions de manière confidentielle, ce qui pouvait être très gênant quand on arrivait pour un problème intime. Et les salles d’attente étaient trop petites, donc, au moment où la rencontre entre le patient et le soignant se faisait, il y avait déjà un stress, une anxiété, qui était ne serait-ce que générée par les locaux », ajoute-t-elle.
Fort de cette réorganisation, le nouvel hôpital sera également repensé pour un autre secteur chaud : le bloc opératoire, qui sera centralisé. « Cela nécessitera une période d’ajustement, précise le Directeur. Aujourd’hui, les urgences sont déjà regroupées, donc on arrivera avec une organisation plus performante, ce qui n’est pas négligeable. Les urgences constituent la porte d’entrée, la vitrine de l’hôpital. 16% à 20% des patients qui passent aux urgences sont hospitalisés. L’hôpital est parfois le seul point de contact des touristes, y compris d’affaires, qui pourraient être amenés à s’installer à Monaco. Quelle image va-t-on leur donner du pays à travers ses urgences ? C’est important. (…) J’ai la conviction profonde qu’on ne gagnera jamais d’argent avec la santé, mais il ne faut pas en gaspiller non plus : on doit l’utiliser à bon escient. J’espère donc que le nouvel hôpital sera performant sur le plan de l’organisation, mais qu’il sera surtout accueillant pour les patients comme pour le personnel. »
Une gestion efficace de la crise Covid
L’organisation, un élément-clé pour Benoîte Rousseau de Sevelinges et ses équipes. C’est d’ailleurs sur ce principe que le Directeur du CHPG s’est appuyé lors de la crise du Covid-19, dont la gestion constitue à ce jour sa plus grande fierté. « Je pense que l’on peut dire collectivement que ça a été bien géré. On a les moyens, c’est certain, mais la clé, c’était la coordination et la coopération internes. Chacune de mes décisions a été prise de manière collective avec la communauté médicale. Toutes les semaines, on avait une à deux cellules de suivi et on a réorganisé l’établissement plus d’une cinquantaine de fois. Chaque semaine, on s’adaptait exactement à la situation sanitaire. (…) Et les résultats se sont manifestés : on a une activité qui a repris plus qu’ailleurs, on a traité plus de patients qu’ailleurs, et pas seulement covid. On a réussi à ne jamais arrêter les prises en charge de cancers, ce qui n’a pas été le cas partout. (…) On sort avec un établissement plus fort et mieux organisé qu’avant la crise. (…) . »
Le Directeur du CHPG espère ainsi voir le système de santé monégasque s’améliorer et se moderniser davantage, notamment en renforçant les liens entre l’hôpital et la médecine de ville. « On a beaucoup de compétence à Monaco. Mais aujourd’hui, il y a des choses à réinventer dans les coopérations que l’on peut avoir entre les différentes structures. Je pense notamment aux épidémies hivernales. Nous avons un système de santé exemplaire, et nous avons énormément de chance, mais on doit pouvoir faire mieux », affirme-t-elle.
De futures interventions dans les écoles
Benoîte Rousseau de Sevelinges a d’ailleurs quelques idées pour l’hôpital. Si certains projets demeurent secrets pour l’instant, un autre est en passe de se concrétiser à compter de la prochaine rentrée scolaire. « Nous sommes en discussion avec l’Éducation Nationale et Isabelle Bonnal pour intervenir dans les écoles et faire de la sensibilisation sur des sujets qui nous paraissent majeurs. Le don du sang, par exemple. Peu de gens savent qu’un don du sang est indispensable dans la constitution d’un certain nombre de médicaments, dont les chimiothérapies. Ou alors, la détection de l’AVC : à quel moment doit-on appeler les secours ? Quels sont les signes que quelque chose de grave est en train de se passer ? », détaille-t-elle.
J’aimerais pouvoir me dire qu’aucune jeune fille de plus de 20 ans à Monaco n’est pas diagnostiquée
Le Directeur espère particulièrement toucher les jeunes filles : « les femmes sont moins bien soignées que les hommes. Les médecins ont été formés à partir des symptômes masculins, et il existe une inégalité hommes/femmes sociale et financière. Les femmes vont moins voir le médecin et font moins d’examens complémentaires. Nous avons commencé à nous atteler à cette problématique en 2020 avec la création du Pelvic Center. Là, nous voudrions aller voir les jeunes filles et leur parler du cancer du sein, de l’endométriose… J’aimerais pouvoir me dire qu’aucune jeune fille de plus de 20 ans à Monaco n’est pas diagnostiquée. L’objectif est que ces jeunes filles ne soient pas freinées par pudeur ou par honte dans l’accès aux soins. »
En parallèle, ces interventions pourraient peut-être faire naître quelques vocations. Benoîte Rousseau de Sevelinges rappelle que le CHPG accepte les élèves en stage dès le collège, pour faire découvrir les – nombreux – métiers de la santé. « On connaît le médecin, on connaît l’infirmière, on connaît moins la secrétaire médicale. Et il existe des métiers qu’on ne connaît pas : le physicien médical, le neuropsychologue, l’attaché de recherche clinique… C’est tout un panel de métiers à découvrir, qui demandent des qualités particulières, mais qui sont tous centrés autour de l’intérêt collectif. Ce sont des métiers d’avenir, avec une qualité de vie au travail importante et qui apportent une réelle satisfaction. C’est notre vocation : partager notre passion pour la santé », conclut le Directeur, qui invite tous les intéressés à contacter directement l’hôpital pour, un jour peut-être, rejoindre cette grande famille au but commun : toujours rechercher le bien-être du patient.