Romain Arneodo, premier Monégasque vainqueur du Rolex Monte-Carlo Masters : « C’était le tournoi que je voulais absolument gagner »

Romain Arneodo et Manuel Guinard ont marqué l’histoire du tennis monégasque en remportant le double du Rolex Monte-Carlo Masters 2025. Dans une finale haletante (1-6, 7-6, 10-8) face aux têtes de série numéro 7, la paire franco-monégasque a créé la sensation devant le Prince Albert II, Melanie-Antoinette de Massy et un public en folie.
Il est le premier Monégasque, en simple comme en double, à réussir cette performance. Quelques temps après ce triomphe au Masters 1000 de Monaco, Romain Arneodo, 32 ans, se confie à Monaco Tribune sur son parcours, ses émotions et cette victoire qui restera autant gravée dans sa mémoire, que dans les annales du prestigieux tournoi.
Des débuts déjà prometteurs
Romain, parlons d’abord de votre parcours dans les grandes lignes. Comment avez-vous commencé le tennis et à quel moment avez-vous compris que cela deviendrait sérieux pour vous ?
Lorsque j’étais petit, je jouais au tennis en même temps que je pratiquais plein d’autres sports. J’étais un peu meilleur au tennis que dans les autres disciplines, donc j’ai continué, mais vraiment juste au niveau des compétitions pour enfants. Ç’a vraiment commencé à être sérieux quand j’ai gagné le championnat de France des 13-14 ans à Roland-Garros. Là, j’ai réalisé que je faisais partie des meilleurs français et que j’allais essayer de poursuivre dans cette voie. Je suis devenu professionnel en 2010, à mes 18 ans.
À quel moment vous êtes-vous rapproché de Monaco pour jouer et être licencié ?
Je suis Cannois d’origine, donc j’ai suivi le circuit fédéral français jusqu’à mes 18 ans, en jouant dans la région de Cannes et Nice. Je suis arrivée en Principauté en 2011-2012 où j’ai joué des matchs par équipe pour Monaco, au Monte-Carlo Country Club. J’ai ensuite cherché une structure d’entraînement. J’étais supposé partir aux États-Unis pour mes études après le bac, mais Monaco m’a finalement proposé de m’entraîner avec eux, à la Fédération Monégasque de Tennis. Comme je les connaissais et que j’étais déjà membre du club, j’ai complètement changé mes plans.
À partir du moment où j’ai décidé de jouer la Coupe Davis pour Monaco en 2014, je suis devenu Monégasque. Je suis encore Français, mais je représente la Principauté et je me sens pleinement Monégasque lorsque je joue.
Les coulisses du Masters 1000 monégasque
Comment fonctionnent les invitations via les Wild Cards au Rolex Monte-Carlo Masters ? Est-ce une évidence pour vous d’en recevoir une ?
Non, ce n’est pas du tout une évidence. Maintenant qu’on évolue à un très bon niveau depuis plusieurs années, cela semble assez logique, mais pendant des années, il fallait vraiment mériter la Wild Card. C’était assez dépendant de nos résultats en Coupe Davis. Si on avait de mauvais résultats, c’était un vrai cadeau d’avoir cette invitation au tournoi.
Aujourd’hui, avec Hugo Nys, on se débrouille bien. Il est très bien classé et je suis dans le top 50, donc on est vraiment légitimes. Lui rentre même avec son classement, il n’a même pas besoin de Wild Card. Avec Manuel Guinard aussi, on est légitimes à jouer en double et on n’est pas juste en train de prendre des invitations pour l’argent du premier tour et ainsi de suite.
On est loin d’être des branquignols. Je pense aussi à Valentin Vacherot qui a gagné son match cette année. Nous sommes des joueurs de tennis professionnels, on mérite nos invitations, tout en gardant en tête que ce n’est jamais totalement acquis : il faut les mériter. On est très reconnaissants de l’obtenir à chaque fois.
Ce tournoi en particulier représente-t-il l’un des plus gros enjeux de la saison pour vous ?
Je me mets un peu la pression parce que c’est le tournoi le plus important de l’année pour moi, où il peut vraiment se passer de belles choses. Toute l’année, je joue plus ou moins sur un circuit secondaire, entre le secondaire et le premier circuit ATP.
Je sais que ce gros tournoi de Masters 1000 peut m’ouvrir beaucoup de portes. Mon objectif est de jouer sur le circuit principal. Avec la victoire, je savais que je pourrais revenir à un classement qui me permettait d’atteindre les tournois ATP. Gagner celui de Monte-Carlo est déjà incroyable, mais surtout, cela m’ouvre aussi les portes du circuit principal.
Une victoire historique
Parlons de cette grande finale. On peut le dire, vous avez débuté le match avec difficulté. Y a-t-il eu un déclic avec Manuel qui a fait basculer la rencontre ?
On a mal commencé. Le déclic s’est opéré au début du second set quand on a réussi à gagner un break et à conserver notre jeu de service. On a vraiment essayé de mettre plus d’énergie, de crier, de s’encourager. Je pense que c’est là où ça a véritablement basculé. Manuel a la faculté d’aller chercher le public, de vraiment fédérer les gens. Il a créé une énergie qui nous a servi à rester en vie tout le second set et réussir à gagner les deux tie-breaks.
Qu’avez-vous ressenti lors du dernier point, quand vous avez compris que vous alliez gagner ?
J’ai vraiment eu peur sur la balle de match parce que j’éprouvais un sentiment mitigé. À 9-8, quand on sert pour le match, le joueur est quand même vachement favori pour gagner le point. Je me suis dit : « Si on ne le fait pas, vraiment, ça va me hanter, la déception va être terrible. » Mais ça va tellement vite, il rester dans le moment présent.
Une fois que j’arrive à conclure la point, j’explose parce que je me dis : « C’est bon, c’est la libération. On a gagné. C’est la fête. » Dans ma tête, c’est une délivrance. Avec ce format de double, c’est vraiment compliqué parce qu’à 9-8, on est favori, mais si on perd ce point, on revient à neuf partout.
Et là, c’est la mort subite en super tie-break, où deux points plus tard, tout peut basculer pendant ce temps très court. Si on perd ce point, en une minute trente on peut perdre le match, ou au contraire, triompher dix secondes après. C’est vraiment l’ascenseur émotionnel !
Gagner devant le Prince, devant Mademoiselle de Massy, votre public, vos proches… Qu’avez-vous ressenti ?
C’est aussi ça qui fait que je suis fier d’avoir gagné. J’ai réussi à rassembler tout le monde, à fédérer plein de gens qui ne sont pas censés vraiment se côtoyer. Il y avait toute ma famille, mes entraîneurs, des amis, le Prince. C’était particulier. J’étais d’autant plus fier d’avoir fini la balle de match pour pouvoir faire la fête avec tous ces gens-là et partager avec eux ce sentiment de bonheur. C’est rare dans une vie qu’il y ait autant de gens qui soient aussi heureux ensemble. Ça faisait plaisir.
Un duo complémentaire
Cette complicité avec Manuel, elle s’est construite petit à petit ou ça a été une révélation pendant ce Rolex ?
Notre force, c’est qu’on joue bien en double tout au long de l’année, mais on n’a pas vraiment les occasions de le prouver parce qu’on ne joue pas sur le circuit principal. C’est une surprise parce qu’on sait qu’on peut le faire, mais il faut quand même le prouver, et c’était ça le plus dur. Il faut aussi un enchaînement de chance et saisir les opportunités. Tout s’est bien goupillé pour nous. On savait qu’on avait le niveau pour réussir et tout s’est bien aligné pour qu’on réalise cet exploit.
Accomplissement et perceptives d’avenir
Cette victoire, vous la voyez comme un rêve accompli ou plutôt comme un nouveau départ ?
Un peu des deux. À chaud, je le vois plus comme un rêve accompli, parce que c’était le tournoi que je voulais absolument gagner dans ma vie. Je l’ai validé. Il y a un million de joueurs de tennis sur Terre qui ont des rêves d’être numéro un mondial ou de gagner les plus grands tournois et qui n’y parviennent pas. Moi, je l’ai fait. C’est donc un accomplissement.
Maintenant que je redescends un peu sur Terre, c’est aussi un nouveau départ, parce que je suis 40ème mondial, donc je vais jouer tous les tournois. C’est à cette place que j’ai envie d’être. Je vais continuer à surfer sur la vague, j’espère que ça m’a propulsé et que je vais pouvoir maintenir ce niveau de classement. Je travaille depuis 2012 avec mon entraîneur Guillaume Couillard, et c’est aussi grâce à lui que j’en suis arrivé là.
Quelles sont vos prochaines échéances et qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?
De continuer à avoir des bons résultats et d’essayer de capitaliser là-dessus. On n’est pas entrés dans les gros Masters 1000 qui ont suivi, c’est dommage. Mais j’espère qu’on va pouvoir prendre des points pour rester à ce niveau et faire quelques années encore dans le top 40 ou 50, et vraiment jouer sur le circuit principal à chaque fois.
Vous comptez continuer avec Manuel pour rester sur ce duo gagnant ?
Je suis dans l’optique de jouer avec des amis à chaque fois. Je sais qu’en double professionnel, il faut parfois jouer avec des personnes qu’on apprécie un peu moins, mais avec qui ça marche bien tennistiquement. Avec Manuel, il y a les deux, donc c’est super. On va essayer de poursuivre ça le plus longtemps possible et on verra où ça nous mène.
Un message réaliste pour la jeunesse
Vous êtes devenu le premier joueur monégasque à remporter ce titre. Quel message souhaiteriez-vous passer aux jeunes qui rêvent de suivre vos pas ?
Je n’ai pas envie de passer ce genre de message parce qu’en fait, le tennis, c’est assez compliqué. Il y en a beaucoup qui s’obstinent et qui perdent énormément d’énergie et d’argent. Le tennis est très élitiste. Je vois beaucoup de jeunes qui se cassent les dents et qui essayent de continuer à jouer pendant des années sans y arriver.
Mais j’ai eu la chance d’être à Monaco, parce que sans Monaco et sans le tournoi, je serais toujours entraîneur de tennis. L’histoire est amusante, parce qu’en 2017 j’ai arrêté de jouer en simple pour être entraineur. C’est le tournoi qui m’a relancé dans ma carrière avec le double.
Il faut avoir un peu de réussite et savoir saisir les opportunités. Évidemment qu’il faut essayer de ne pas lâcher, mais il faut aussi être lucide sur son niveau de jeu et ne pas s’obstiner jusqu’à 30 ans pour être 800ème mondial. J’en vois beaucoup qui essayent de jouer pendant longtemps et on dit : « C’est super, ils ont le mental », mais il faut aussi se poser les bonnes questions.
La notoriété post-victoire
On vous a aperçu sur la pelouse du Stade Louis–II pour le coup d’envoi fictif de la rencontre AS Monaco – Strasbourg. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
Ça fait plaisir, ça me met complètement en lumière, mais je prends beaucoup de recul sur tout ça. Je surfe un peu sur la vague parce que je sais que je ne gagnerai pas 50 fois le tournoi et que ce sont des expériences assez uniques. J’essaie de profiter à fond de ces moments. Ce sont des instants que j’apprécie parce qu’ils sont rares et qu’ils ont mis du temps à arriver.