« Le sport doit être au rendez-vous, avec le spectacle, l’action rapide et l’adrénaline » : Rodi Basso révèle les ambitions de l’E1 Series à Monaco

À l’occasion de l’E1 Series à Monaco ce week-end, nous avons rencontré Rodi Basso, co-fondateur et directeur technique de cette compétition inédite de bateaux électriques.
Ingénieur aérospatial passé par la NASA, Ferrari F1 et McLaren, le co-fondateur de l’E1 Series nous livre sa vision d’un sport qui allie spectacle, technologie et économie bleue.
Monaco Tribune : De la NASA à l’E1 Series, comment votre parcours vous a-t-il mené à créer cette compétition encore méconnue ?
Rodi Basso : J’ai effectivement débuté comme ingénieur aérospatial, puis j’ai rejoint Ferrari pendant cinq ans avant de travailler trois ans chez Red Bull. J’ai ensuite développé différents projets auprès de Magneti Marelli puis à McLaren Technology en tant que directeur général. C’est là que j’ai rencontré Alejandro Agag alors que nous développions la batterie de Formule E deuxième génération.
En 2020, à Londres, nous discutions de l’investissement d’Alejandro dans l’entreprise Sievert Technologies et de la construction de bateaux à foils électriques. Il m’a demandé de l’aider. Convaincu par l’idée en 24 heures, je lui ai dit : « Pourquoi ne pas construire l’équivalent de la Formule E sur l’eau ? » Trois mois plus tard, nous avons annoncé le projet de l’E1 à Monaco. La Principauté est un endroit spécial pour nous puisque nous avons signé, avec le Prince Albert II, un contrat d’exclusivité de 25 ans pour le Championnat du monde de bateaux électriques.
Quelle est votre vision à long terme pour ce championnat ?
Nous sommes encore jeunes, nous devons grandir. Pour cela, nous voulons multiplier le nombre de courses, en Asie et en Océanie, pour atteindre 15 courses au total. Nous sommes très fiers du chemin déjà parcouru : de cinq courses sur trois continents lors de la première saison, à sept courses sur quatre continents la deuxième saison.
Nous allons bientôt annoncer l’arrivée d’une dixième équipe. Douze équipes sera le nombre idéal puisque c’est un format de course compétitif qui a déjà fait ses preuves dans d’autres sports. Cela génère aussi de la rareté et une valeur importante à la licence.

Dites-nous en plus sur le fonctionnement des célébrités propriétaires des équipes.
J’aime les appeler « talents », qui sont issus de différents milieux du sport et du divertissement. Ils sont techniquement propriétaires, avec toute une équipe, une licence – ou du moins une partie s’ils la partagent avec un investisseur ou un sponsor. Ils ont différents accords.
Certains d’entre eux sont très passionnés par les sports nautiques. Tous étant au sommet ou en fin de carrière, ils travaillent sur le prochain chapitre de leur vie. Une partie de ce chapitre doit être impactante. Par exemple, Didier Drogba a une fondation incroyable ; il s’occupe de l’éducation en Afrique et est sensible à l’écoresponsabilité. Rafael Nadal a cette sensibilité de transmission aux nouvelles générations par le biais de son académie. Depuis qu’il a rejoint l’E1, il collabore aussi avec Carlos Duarte sur comment rendre l’infrastructure de l’académie plus durable.
Comment gérez-vous le développement de votre audience ?
Au début, nos conversations s’engagent avec les gouvernements (B2G) et les groupes d’affaires (B2B). Et bien sûr, nous cultivons notre fan base (B2C) à travers le marketing digital et nos fan zones. À Jeddah, nous avons totalisé 15 000 personnes cette année, contre 5 000 l’année dernière lors de notre toute première course. À Doha, nous avons atteint jusqu’à 30 000 personnes dans la fan zone sur la totalité des jours de compétition.
Quel est leur profil ?
Nous constatons un bon équilibre entre les hommes et les femmes. Il y a environ 60 % d’hommes et 40 % de femmes qui s’intéressent à la compétition. La moyenne d’âge se situe entre 25 et 30 ans. Nous voulons garantir l’avenir de l’E1 et de ce sport, afin que la génération future s’y intéresse et continue à le suivre. C’est pourquoi il est très important de développer la fan base dans cette tranche d’âge.
Ce sont tous des amateurs de sports nautiques, des adeptes du foiling, de la voile, de la planche à voile ou de la course avec un fort intérêt pour le format compétitif. Le sport doit être au rendez-vous, avec le spectacle, l’action rapide, l’adrénaline, etc. Sinon, nous risquons de perdre l’intérêt du public.
C’est un sport de niche, au croisement de la voile, du sport automobile et du powerboat. Mais en réalité, nos pilotes viennent de la Formule 1, du GT, du rallye et du powerboat. Nous avons même une médaillée olympique en voile. Au total, il y a un beau mélange culturel avec 11 nationalités différentes parmi les pilotes.

Hier, lors des qualifications, le bateau de la Rafa Team, piloté par Tom Chiappe, a subi une collision avec celui de la Team Brazil. Comment un accident comme celui-ci affecte-t-il la compétition ?
La première chose dont je m’assure, c’est que les pilotes s’en sortent indemnes, ce qui a été le cas pour Tom. Puis, bien sûr, je suis allé voir le bateau pour évaluer les dommages. Il est difficile de concevoir un bateau en tenant compte de tous les accidents potentiels.
La course comporte cette part de « jeopardy », de danger, de péril, qui est toujours possible et difficile à anticiper. Nous essayons de travailler nos règles avec la Fédération UIM pour tenter de mieux saisir l’imprévisibilité de ce sport. C’est pourquoi nous avons des tours longs et courts. Même si vous êtes premier, vous êtes obligé de réaliser un tour court et un tour long autour des bouées.
Quelle est la spécificité de ces « Formule 1 » des mers, les Race Birds ?
Le concept a été imaginé par une designer norvégienne, Sophie Horne, fondatrice de la start-up dans laquelle Alejandro a investi. Je me suis ensuite chargé de l’ingénierie et de la fabrication, bien sûr, en faisant appel à un réseau de fournisseurs et d’ingénieurs. Nous avons réalisé plusieurs analyses, sous la direction de Carlos Duarte, pour démontrer sa durabilité.
Le bateau ne produit aucune émission pendant son utilisation, ce qui est une bonne chose. Nous pourrions ensuite parler pendant des heures de l’analyse du cycle de vie. Mais il faut bien commencer quelque part.
Notre bateau projette bien sûr un peu d’eau à cause du foil, mais il génère très peu de vagues, ce qui est très important pour l’érosion côtière. Enfin, et c’est quelque chose que j’ai découvert lors du développement de l’E1, nous avons réduit le bruit de 80 %. Cela a un impact considérable sur la vie marine et la vie en général autour du bateau.
Nous utilisons la fibre de carbone, au détriment des fibres naturelles plus lourdes et dont le comportement structurel n’est pas le même. Car comment pourrait-on fabriquer une machine de course trop lourde et pas assez agile ? Mais encore une fois, nous sommes ouverts à la discussion, aux développements futurs.

Monaco est une terre d’innovation notamment dans ce domaine de l’économie bleue et de l’ingénierie nautique durable. Avez-vous des discussions en cours avec des acteurs locaux ?
Nous sommes en contact avec la Fondation du Prince Albert II. Je pense qu’elle participera aux tables rondes qui auront lieu prochainement dans le cadre de cet événement. Nous essayons de soutenir leur mission et de la promouvoir dans la mesure de nos moyens.
Je m’intéresse de près aux conférences sur l’avenir technologique du yachting et la mobilité du futur à Monaco. Aujourd’hui, nous avons par exemple un « projet prototype » dans le cadre duquel nous avons invité trois start-ups locales (Washdown, ETYC, et Coraliotech) qui travaillent sur des solutions dans le domaine de l’économie bleue. Elles présenteront leur projet au public, puis nous essaierons de déterminer laquelle a le plus convaincu, et nous lui remettrons un prix. Sur le plan social, si l’un de nos invités remarque ces start-ups et décide d’investir dans l’une d’entre elles, ce serait pour moi la meilleure récompense.
Bien sûr, ce n’est qu’une première étape d’un projet plus ambitieux, d’une vision plus large pour l’année prochaine. Notre prochaine étape consiste à devenir un événement certifié ISO 14068 pour la neutralité carbone.