Paroles d’ambassadeurs : le respect au coeur de la relation entre la Chine et Monaco

Marie-Pascale Boisson a présenté ses lettres de créance au président Xi Jinping en avril 2023, après avoir vécu les restrictions sanitaires chinoises en première ligne. Ambassadrice de Monaco en Chine depuis 2020, elle nous dévoile les coulisses d’une relation diplomatique pleine d’avenir.
Monaco Tribune : La Chine et Monaco célèbrent cette année le 30e anniversaire de leur relation diplomatique. Quels sont les axes prioritaires de la diplomatie monégasque en Chine aujourd’hui ?
Marie-Pascale Boisson : Trente ans, ce n’est pas rien, même si à l’échelle diplomatique cela reste plutôt jeune. Nous savons qu’il y a encore beaucoup de choses à développer. Les axes prioritaires sont multiples. En collaboration avec mes collègues du ministère des Affaires étrangères, nous travaillons par exemple sur des traités d’entraide judiciaire ou de la reconnaissance mutuelle des diplômes. En matière d’éducation, l’apprentissage de la langue chinoise est un lien culturel important : entre le collège et le lycée, près de 90 élèves d’un bon niveau étudient le mandarin à Monaco. Pour la première fois cette année, une école chinoise a même participé au concours d’écriture francophone organisé, sous l’égide de l’OIF, par l’association monégasque « Au cœur des mots ».
Les questions environnementales sont aussi souvent évoquées dans les relations bilatérales. Elles occupent une place importante, puisque la Chine s’y intéresse énormément ces dernières années. Des liens ont été établis entre l’Institut Océanographique et le Ministère des Ressources Naturelles chinois pour renforcer les échanges en matière de protection des Océans.

La Fondation Prince Albert II dispose d’un bureau à Pékin, ce qui est exceptionnel pour une fondation étrangère. Cette année un accord vient d’être signé pour la protection de la gazelle du Tibet dans le parc naturel de Sanjiangyuan, où se trouve la source des trois grands fleuves d’Asie, le Yangtsé, le Mékong et le Fleuve jaune… Par le passé, plusieurs projets ont été menés à terme : sur la protection du tigre de Sibérie, pour lutter contre la pollution des eaux du lac Taihu, ou encore pour soutenir l’école environnementale de l’université de Tsinghua à Pékin, par l’attribution d’une bourse aux élèves les plus méritants.
Le pays investit massivement dans les technologies vertes. Des projets de coopération écologique avec Monaco sont-ils envisagés ?
Sur les sujets environnementaux, les Chinois avancent rapidement, car ils ont la volonté, les moyens et les ressources humaines mobilisables avec efficacité. Pour les nouvelles technologies vertes, le pays progresse aussi très vite grâce à l’intelligence artificielle, y compris pour la production de voitures électriques, largement accessibles à la classe moyenne. Lorsque vous êtes à Pékin ou à Shanghai, vous pouvez remarquer le nombre croissant de plaques d’immatriculation vertes, qui signalent les véhicules électriques, par rapport aux plaques bleues des véhicules thermiques.
Récemment, nous avons noué des liens avec la région autonome de Macao, très concernée par la protection des océans. La Chambre de l’Écologie et des Énergies Renouvelables de la Principauté, qui regroupe les entreprises proposant des solutions dans le domaine environnemental, a établi des contacts intéressants avec Macao au cours de rencontres que j’ai organisées. L’idée de créer une Maison Monaco-Macao est à l’étude.

Comment décririez-vous la perception de Monaco dans ce pays ? Y a-t-il des clichés à déconstruire ?
Je pensais, à tort, que Monaco, petit pays d’Europe, n’était pas si connu en Chine. Bien au contraire, l’aura de la Famille Princière y est très présente. Cela résonne particulièrement avec le rapport très fort que les Chinois ont traditionnellement à la famille.
Pour les nouvelles technologies vertes, le pays progresse très vite grâce à l’intelligence artificielle
De façon générale, les Chinois respectent l’image positive de la Principauté, qui a su, depuis le XIIIe siècle, préserver son identité et son indépendance au sein des conflits européens. Un passé mouvementé qui fait écho à leur propre histoire marquée par l’affrontement entre les dynasties. L’idée que Monaco cultive l’excellence – que ce soit dans le domaine économique, culturel, l’éducation et l’accueil touristique – correspond à leurs valeurs.
Est-ce que cette différence culturelle se ressent dans la diplomatie ?
L’important pour les Chinois, c’est de ne jamais perdre la face, et de ne jamais vous faire perdre la face. C’est subtil ! Il faut savoir comment aborder certains sujets, toujours avec une extrême politesse.
Le niveau d’éducation et de compétence de leurs diplomates m’a particulièrement impressionnée. Au ministère des Affaires étrangères, de jeunes Chinois parlent un français irréprochable, sans aucun accent, avec un vocabulaire riche, alors même qu’ils n’ont jamais mis les pieds en France ! C’est un pays étonnant, travailleur, qui voit à long terme, que ce soit dans les domaines d’avant-garde, comme le domaine scientifique des nouvelles technologies ou dans toutes les autres activités.
C’est un pays étonnant, travailleur, qui voit à long terme
Le culte de la réussite et de l’excellence est solidement ancré en eux, parce qu’ils sont constamment mis en situation de concurrence. Ce qui est inévitable pour un pays avec une population de plus de 1,4 milliard d’habitants, qui représente la seconde puissance économique mondiale.
Dans le contexte du tourisme de luxe post-Covid, comment Monaco peut-il se positionner auprès de cette clientèle ?
Le tourisme a repris. Maintenant que j’essaie d’apprendre le chinois, j’entends parler la langue sur le Rocher ! De nombreux groupes viennent à Monaco lorsqu’ils font le tour d’Europe en France et en Italie.
A l’échelle individuelle, des personnalités chinoises sont venues visiter le casino de Monte-Carlo, l’Opéra, le centre de conférences et d’expositions du Grimaldi Forum, ou le Nouveau Musée National: tout le volet culturel mais aussi les événements sportifs de la Principauté les intéresse également. En témoigne l’exposition sur les Princes et Princesses de Monaco à la Cité interdite de Pékin, qui avait rencontré un grand succès en 2018, quelques années avant la pandémie.
La Direction du tourisme de la Principauté mène des actions de promotion sur l’Asie en général, par l’intermédiaire du Bureau de représentation du tourisme pour l’Asie en coopération avec la SBM. Situé à Singapour, il travaille avec des agences de voyages haut de gamme. Cela vise notamment une clientèle prestigieuse, à fort pouvoir d’achat, qui vient par exemple séjourner à l’Hôtel de Paris.
La Principauté cherche à renforcer sa visibilité à l’international. Quelles actions concrètes avez-vous mises en œuvre récemment à Pékin ?
Cette année, en plus d’une célébration officielle dans la capitale chinoise, nous organisons un certain nombre d’événements pour marquer le 30e anniversaire de nos relations avec la Chine : un timbre commémoratif, des concerts à Macao et à Pékin par des groupes de musiciens de la Principauté, une exposition à Monaco d’un professeur de dessin chinois qui avait donné des cours à la Princesse Grace.
Nous souhaitons aussi donner un relief particulier à notre mission économique à Shanghai. Au mois de novembre, le MEB participera à la China International Import Expo, la grande exposition internationale de Shanghai qui concerne les entreprises étrangères souhaitant se développer sur le marché chinois.

Vous êtes également ambassadrice pour l’Australie. Comment conciliez-vous votre double accréditation auprès de deux pays aussi éloignés et différents ?
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, malgré leur éloignement géostratégique, il existe des relations entre la Chine et l’Australie. Sur le plan commercial, il y a de nombreux échanges grâce à leur présence commune dans l’Indo-Pacifique. Le Premier ministre Anthony Albanese s’est déclaré très favorable à la poursuite des relations commerciales et diplomatiques avec la Chine.
La grande différence est évidemment culturelle. L’Australie est plus proche de notre culture occidentale. En deux minutes, vous êtes amis avec tout le monde, ce qui est très anglo-saxon. En Chine, construire une relation est une démarche plus complexe et prend plus de temps. En tant qu’ambassadeurs, les relations avec les consuls sont essentielles pour entretenir ce contact. Nous avons trois consuls en Chine et deux consulats en Australie.
Les incendies et les événements climatiques extrêmes marquent régulièrement l’actualité australienne. Y a-t-il là aussi des coopérations possibles dans la recherche environnementale ou la protection de la biodiversité ?
La Fondation Prince Albert et l’Institut Océanographique travaillent activement avec le gouvernement et le département des relations extérieures. L’île Kangaroo Island, dont la faune est protégée, a été ravagée par les feux en 2020. Monaco a participé à la reforestation de cet endroit et à la réintroduction des koalas, qui ont subi une véritable hécatombe – davantage encore que les kangourous. Monaco travaille aussi à la préservation de la Grande Barrière de corail au large du Queensland.
Quel moment fort ou symbolique de votre mission diplomatique récente aimeriez-vous partager avec nos lecteurs ?
Hormis le sourire accueillant du président Xi Jinping lorsque je lui ai présenté mes lettres de créance, j’ai une autre anecdote avec Charles Leclerc. C’est une vedette en Chine, en raison de ses exploits sportifs mais aussi de ses qualités humaines. Il est également connu comme ambassadeur d’APM Monaco, une marque très appréciée des Chinois. Je l’ai rencontré à Shanghai à l’occasion du GP de Chine et je lui ai dit : « Vous êtes un meilleur ambassadeur que moi, parce que vous êtes beaucoup plus connu ! » C’est un jeune homme sympathique, plutôt humble et respectueux, travailleur et qui réussit dans son domaine. En bref, des vertus chinoises.
La perception positive de Monaco en Chine passe non seulement par le rayonnement de notre pays à l’international, par l’aura de notre Souverain et de sa Famille, mais aussi par des personnalités comme Charles Leclerc : un riche passé historique associé à une image dynamique tournée vers l’avenir.